Ils nous quittent : Lou Donaldson, Pat Lewis, Sam Mosley, Morris Francis, Bob Seeley, Jack Hale, Joe Chambers, Luther Kent, Jim Gaines…
19.12.2024
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Né à La Nouvelle-Orléans, Clarence Henry grandit dans le quartier d’Algiers. Admirateur de Professor Longhair et de Fats Domino, il prend des leçons de piano dès son enfance.
Au lycée, il apprend le trombone et se fait recruter alors qu’il est encore adolescent au sein des Toppers, le groupe de Bobby Mitchell, avec lesquels il enregistre dès 1953 pour Imperial sous la houlette de Dave Bartholomew. Viré par Mitchell en 1955 pour avoir raté un concert – il se mariait ce jour-là, le premier de sept mariages… –, il monte son propre ensemble qui se produit au Joy Lounge, un club de La Nouvelle-Orléans. C’est là qu’un soir, à l’issue d’un concert de plusieurs heures, il improvise une chanson sur le fait de ne pas pouvoir rentrer à la maison au cours de laquelle il s’amuse à prendre des voix différentes : une jeune fille, une grenouille, un poulet…
Le chef d’orchestre Paul Gayten, qui travaille régulièrement pour Chess, l’entend et l’emmène sans délai en studio, chez Cosimo Matassa, pour graver ce titre, qu’il raccourcit en faisant disparaître plusieurs des voix assurées sur scène par Henry. Intitulée Ain’t got no home, la chanson sort en 45-tours sur Argo et devient un tube immédiat, qui vaut à Henry un surnom qui le suivra toute sa vie : Frogman !
Au contraire de nombre de ses collègues de La Nouvelle-Orléans, il bénéficie du soutien d’un label d’envergure nationale et parvient donc à décrocher deux autres tubes majeurs, (I don’t know why) But I do, coécrite par Gayten avec Bobby Charles et arrangée par Allen Toussaint, et You always hurt the one you love, et à classer plusieurs titres dans les hit-parades jusqu’en 1962. Un album à son nom est même publié par Argo en 1961, et il participe à plusieurs tournées tant aux États-Unis qu’à l’étranger. Il se produit même en Angleterre au début des années 1960 et y croise les Beatles, qui font appel à lui pour assurer leur première partie lors de leur tournée américaine et canadienne de 1964, y compris pour une date “à la maison” à La Nouvelle-Orléans.
Le triomphe est de courte durée cependant : la musique des Beatles et de leurs suiveurs a mis un terme à la popularité du R&B et du rock ’n’ roll, et la carrière discographique de Henry s’arrête brutalement. Son contrat avec Argo n’est pas renouvelé après 1964 et, après quelques singles jusqu’à la fin de la décennie pour de petits labels et un album pour Roulette, “Clarence (Frogman) Henry Is Alive And Well Living In New Orleans And Still Doin’ His Thing…”, il cesse d’enregistrer pendant près de dix ans. Après quelques années difficiles, où il reprend un métier manuel, il parvient à trouver sa place dans les clubs du French Quarter comme le 500 Club et le Court of Two Sisters, où il se produit pendant deux décennies six soirs par semaine, et enregistre ponctuellement, en particulier pour Maison de Soul, à la fin des années 1970 et au début des années 1980.
Pendant ce temps-là, Ain’t got no home n’a jamais perdu son impact : régulièrement reprise – The Band, les New York Dolls, Rod Stewart… –, la chanson apparaît régulièrement au cinéma, assurant des royalties à leur auteur. Celui-ci, qui n’a jamais quitté La Nouvelle-Orléans et vivait dans une maison remplie d’objet en forme de grenouilles, reste une présence familière sur les scènes de Louisiane, même si l’âge et des problèmes de santé lui imposent de réduire progressivement ses apparitions. Il était attendu au Jazz Fest de 2024, mais sa dernière prestation fut donc celle de l’édition 2023.
Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © DR