Carnet de voyage : Tennessee, octobre 2024
20.12.2024
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26 et 27 avril 2024.
Une 18e édition qui marque la “majorité” d’un rendez-vous incontournable parmi les festivals du nord-ouest de la France, désormais devenu une référence parmi les événements nationaux de la note bleue. Près de Rennes et sur la route directe de Nantes, en Bretagne, Bain de Blues offre depuis 2007 une magnifique expérience scénique dans une belle salle dotée d’excellentes conditions acoustiques.
Dans une ambiance bon enfant, mais avec un beau professionnalisme et une solide expérience, l’équipe de bénévoles – soudée autour de Patrick Lecacheur et de Thierry Member – déploie chaque année des trésors d’organisation pour apporter à un public fidèle et grandissant de nombreuses nuances de blues, mâtinées de rock, de soul et même de country. Le président cite le célèbre écrivain Louis Nucera (1928-2000) : « Qui néglige la musique ignore l’approche du sublime. » Une programmation riche, relevée, internationale, offrant également une place de choix aux artistes nationaux ou même locaux. Revue de détail.
Vendredi 26 avril
Pour la troisième année consécutive, c’est sous un chapiteau extérieur que l’école de musique Opus 17 ouvre les festivités dès 19 heures avec une petite trentaine de minutes consacrées au passage en revue de reprises bien huilées, pour mettre en jambe un public souriant, composé de parents, de curieux, d’amoureux de la découverte de jeunes artistes. Un groupe uni majoritairement composé de filles (5 sur 6), tranchant avec l’écrasante présence masculine habituellement comptée dans les blues bands. De grands classiques de la soul, du funk, du blues sont au programme pour une interprétation pleine de fraîcheur, drivés par un prof-guitariste motivé et motivant. À l’heure où se posent de légitimes questions sur la pérennité de nos musiques chéries, ce plateau avait déjà de quoi nous rassurer pour l’avenir.
On entre dans la “salle de Bain” et, comme à l’accoutumée, la grande scène à droite qui attend les artistes fait face à la petite scène de gauche, baptisée “interscène”, sur laquelle les musiciens (un même groupe chaque soir) ont pour mission de chauffer le public entre deux prestations, “meublant” les changements de plateau, et par définition devant composer avec un timing serré. L’installation en “line-check” du dernier groupe de la soirée aura permis à Cherry’s On Top de davantage s’exprimer à la fin que dans les trois premiers sets d’un quart d’heure prévus. Ce quartet originaire de La Rochelle évoluant entre rockabilly, swing, jump, folk et country a su captiver à chacun de ses quatre passages. Des percussions assurées au cajon, une contrebassine animée et vibrante, deux chanteurs-guitaristes au jeu fougueux ont donné envie d’en voir et d’en entendre davantage dans le contexte d’un concert entier. Leur style festif et décloisonné, autoqualifié de « Low swing, jump & rock sounds », a parfaitement conquis le public.
C’est le quintet Cactus Candies qui se présente sur la grande scène, et le groupe de la chanteuse-guitariste Lilou Hornecker pose les bases dès la contemplation du look de chaque artiste, vintage à souhait. Sa belle combinaison verte se marie bien avec l’allure très fifties de chaque protagoniste : Vassili Caillosse (lap steel et guitare), Thibaut Chopin (contrebasse et chant), Julie Mellaert (violon et chœurs) et Jull Gretschy (guitare et chant). Sans batterie, l’ensemble dégage pourtant une belle énergie, surannée et salvatrice. Country, western swing et honky tonk : le ton est donné, les références des reprises sont nombreuses et détaillées, Lilou aimant camper le décor à presque chaque titre : Hank Williams, Johnny Cash, Rose Maddox, Carolina Cotton… Chacun sait offrir les ressources de son instrument sans tirer la couverture à soi, jouant pour le groupe et l’esprit de chaque chanson au format “juke-box”, sans solos interminables ni démonstration technique aucune. C’est en toute décontraction, avec le souci de communiquer avec un public charmé, que ce trop court et festif set des Cactus Candies a ravi toutes les oreilles. Rafraîchissant !
Native du Nigeria où le début de sa vie n’a pas été simple, émigrée en Suisse, elle joue ce soir avec trois de ses cinq musiciens helvètes (Nic Niedermann à la guitare, Tom Wettstein à la basse, Christof Jaussi à la batterie), la belle Justina Lee Brown (née Justina Ogunlolu) hypnotise la salle par sa présence unique. Ses chansons s’inspirent en partie de sa vie passée et des multiples vicissitudes qui accompagnent là-bas, dans les rues de Lagos, une jeune fille née d’une adolescente. À présent future mère, son amour de la vie s’en trouve transcendé. Sa magnifique robe fuchsia la fait littéralement émerger de la scène. Son répertoire est un vibrant hommage à ses racines africaines et aux musiques qui en découlent. Sa musique multiforme est imprégnée de blues, de reggae, de jazz, de soul, de funk ; elle écrit elle-même tout ce qu’elle interprète. Puisant dans ses deux derniers albums – dont le très beau “Lost Child” paru à l’automne dernier – sa performance scénique éblouissante et sa voix envoûtante au large spectre suscitent tour à tour l’émotion, le ravissement, la contemplation, la joie… le bonheur. Intemporelle, pertinente, brillante, offrant une prestation variée et jubilatoire : Justina Lee Brown est mon coup de cœur du festival.
Arrive le band entourant Alexis P. Suter, chanteuse originaire de Brooklyn, qui n’est pas avare non plus de transmission d’émotions. Le groupe est franco-américain : Vicky Bell (chœurs), Chris Bergson (guitare, chant), Philippe Billoin (clavier), Philippe Dandrimont (basse) et Ray Grappone (batterie), l’harmoniciste et tourneur Alain Michel les ayant rejoints pour le dernier titre. La mère de la chanteuse Alexis P. Suter, ancienne choriste de Dionne Warwick et de Mahalia Jackson, entre autres, vient de disparaître à l’âge canonique de 101 ans. Sa fille lui consacrera un très émouvant hommage avec un Let it be habité, emprunté aux Fab Four. Alexis P. Suter est convaincue qu’une prestation scénique doit être une expérience émotionnelle et spirituelle ; avec sa tenue de prédicatrice à croix immense en sautoir et les intonations gospel de son répertoire, comme beaucoup de musiciens afro-américains, l’importance de la religion comme initiatrice au chant et à la musique est, pour elle, prégnante. Sans oublier le blues et la soul, le set emporte l’adhésion, d’autant plus que l’impeccable New-Yorkais Chris Bergson nous régale un moment avec un avant-goût de son futur album à sortir en juin et que, dynamisé par l’omniprésente et pétulante choriste Vicky Bell, le public est souvent sollicité. Une vague sonore et émotionnelle irrépressible, un concert particulièrement intense.
Originaires de Douarnenez et de Paimpol, les Bretons protéiformes Komodrag & the Mounodor, constitués de deux groupes unifiés, ont pour ambition de nous faire revivre (vivre ?) la tranche 1968-1973 côté rock seventies, et non contents d’être nombreux (un clavier, trois guitares, une basse, deux batteries : 7 musiciens !), les rôles évoluent au fil du set : tout le monde chante, y compris chaque batteur qui vient tour à tour devant la scène, l’un des guitaristes assure aussi les percussions, et le jeu de scène est des plus mouvementés, le bassiste poussant jusqu’au bain de foule avec micro posé au centre, finissant torse nu. Chemises seventies colorées, rouflaquettes, moustaches, tignasses d’époque, vestes à franges, talons perchés… le look est plus qu’immergé et assumé, il fait partie du show. Usant d’un volume sonore pas forcément compatible avec chacun dans la salle, la tentative d’expérience de l’immersion totale dans l’univers musical rock d’il y a plus d’un demi-siècle est toutefois réussie. Aucune reprise pour “rehausser” le répertoire ou se rappeler au bon souvenir de ceux qui apprécient Black Sabbath, Lynyrd Skynyrd, Allman Brothers ou Deep Purple ; le répertoire s’en inspire, mais est purement original, et les amateurs de cover-bands ou de tributes-bands en seront pour leurs frais. Les jeunes Komodrag & the Mounodor offrent un spectacle total, qui gagnera en couleur et en épaisseur au fil de l’expérience avec une resserrement des boulons côté gestion du son et répartition des rôles de chacun, mais qui sait déjà drainer une fan-base conséquente pour qui la cohésion musicale passe après l’énergie pure. De quoi joyeusement nous emmener jusqu’à une heure du matin, après six heures de musique ininterrompue, avant d’attaquer la seconde journée du festival.
Samedi 27 avril
C’est dès midi sonnant que le duo Bourbon Street, basé dans le Limousin, nous attend aux Deux Marches, l’un des bars partenaires de Bain de Blues. Dans l’arrière-salle – en non en extérieur, puisque le soleil ne daignera revenir que le lendemain – le duo offre aux quelques privilégiés un répertoire blues acoustique, ponctué de reprises fameuses et de compositions originales. Puisant dans une discographie dépassant les deux décennies, Cyril Menet (guitare) et Eric Vacherat (chant, guitare) n’ont qu’à enregistrer l’acquiescement de l’assistance pour se confirmer que leur répertoire “classic blues” tient toujours le haut du pavé dans l’esprit des adeptes des douze mesures traditionnelles. Avec passion et savoir, ponctuant chaque titre d’une anecdote, Eric nous emmène en toute décontraction sur les traces des créateurs et des pionniers, nous offrant un beau voyage en toute fraternité avec son comparse Cyril. Rassérénant !
C’est à 17 heures qu’il faut descendre quelques dizaines de mètres pour rejoindre le Point Bar, également partenaire de longue date de Bain de Blues. C’est le trio auvergnat Black Cat Bones, emmené par la chanteuse-percussionniste Lhô Thivat, qui a pris place devant un parterre séduit et ravi. Teinté de fortes épices de folk, son blues est comme la vie, il monte progressivement, redescend, prend de la puissance, retrouve le recueillement, et au fil des interventions percussives de Lhô Thivat, de sa voix pleinement délicieuse, des variations d’intensité de la guitare de Phil Thivat et des volutes de violon de Claire Bard, son répertoire hors du temps captive, forcément. Un set enchanteur au pays du blues acoustique, de la folk relaxante, des musiques du cœur. Superbe !
Au retour à la salle de Bain, après un nouveau beau set d’ouverture d’Opus 17 très suivi, c’est le combo Lucky Pepper qui a pris place sur l’interscène. Geoffrey et sa bande de Bordelais – Rémy Puglisi (batterie, chœurs), Julien Lacombe (basse, chœurs), JP Cardot (piano) – fait monter de plusieurs degrés une atmosphère humide qui en avait bien besoin, par cette température un peu juste pour la saison. Entre rock ‘n’ roll survitaminé, énergie punk et son garage ou parfois voodoo, l’énergie communicative de Lucky Pepper fait aussitôt mouche. Les contraintes de l’interscène demandant un engagement de chaque instant, les titres les plus carabinés du répertoire ont été retenus, avec un format court qui en impose, avec à chaque seconde la joie dans l’œil de chacun des quatre de voir le public bouger et danser. En toute simplicité et dans une connexion naturelle et salutaire, Lucky Pepper offre quatre mini-sets bouillants, souvent propres à des réminiscences de Jerry Lee Lewis côté piano et de Vince Taylor côté son cohésif et incisif. Bluffant !
Le premier de la soirée à se présenter sur la grande scène est le jeune Bordelais Zacharie Defaut, pour qui le blues rock en trio a du sens et nécessite à la fois une logique d’ensemble et un son plein d’unité. Il a logiquement pensé qu’il serait intéressant de s’adjoindre les services d’un clavier pour étoffer un répertoire à la texture tantôt épaisse et lourde, tantôt aérienne et harmonique. Zacharie Defaut (chant, guitare), Edward Rogers (claviers, chant), Flavien You (basse) et Kevin Lika (batterie) constituent le Zacharie Defaut Band, qui sort ce mois-ci un nouvel opus réussi intitulé “Milady”. Les références se font jour au fil du set : Jimi Hendrix, Stevie Ray Vaughan, Gary Clark Jr. pour les plus évidentes, la soul façon Motown en filigranes, mais ces influences se trouvent intégrées, digérées et insérées dans un son qui devient tout personnel, tant l’apport des ascendants fait corps avec l’esprit de leurs compositions originales pertinentes, à l’exclusion de toute reprise – que le public, conquis, aurait pu accepter de bonne grâce. Zacharie Defaut, chantant d’une voix claire qui se bonifiera encore avec les années, possède des ressources infinies dans son jeu de guitare, passant en revue de multiples ambiances chaudes, en son mat ou brillant, avec maestria. Après avoir obtenu le prix Bain de Blues aux Rendez-vous de l’Erdre en 2023, leur présence évidente ici, parmi les grands, confirme que la relève par cette jeune génération de musiciens peut produire de très belles choses. Un groupe à suivre !
Arrive le tour des Nantais The Freaky Buds, emmenés par le Rennais Max Genouel, le Caennais Thomas Troussier à l’harmonica (à Nantes depuis longtemps), le Bordelais Lonj à la guitare aux cordes “de basse” et le Nantais Hugo Deviers à la batterie. Formé il y a près de six ans déjà, le quartet vient d’enregistrer chez Kid Andersen en Californie – d’où ils sont rentrés éberlués – un second album qui ne devrait pas voir le jour avant début 2025. Qu’importe ! Ils nous en offrent ce soir quelques magnifiques bribes, mêlées des compositions de leur précédent effort “Hard Days, Fuzzy Nights”. Avec une belle fougue et un jus incroyable issu de ses six cordes, le leader offre une magistrale démonstration de feeling, attestant que les références qu’il véhicule – admirable version de All your love de Magic Sam, notamment – transcendent avec ardeur leur prestation totalement habitée. Les flamboyances de Thomas à l’harmonica sont toujours à la fois percutantes et profondes. Le flegme de Lonj contraste avec l’exubérance de Max Genouel, assurant un contact permanent avec un public fasciné. Un groupe français majeur, sur lequel tous les festivals de blues peuvent compter !
On la connaît depuis plus de 15 ans, la sublime Shakura S’Aida, et on se dit que faute de découverte, on aura la confirmation de la brillance de son aura… Ce fut le cas ce soir encore, avec une prestation XXL ! Née à New York, élevée en Suisse, vivant à Toronto, cette artiste majeure de la scène blues-soul-rhythm and blues de notre époque, auréolée de multiples récompenses, peut séduire par l’aspect “Tina Turner” de certaines de ses attitudes scéniques. Mais plus personnellement, Shakura S’Aida sait parfaitement mettre le public dans sa poche avec d’autres atouts que sa tenue vestimentaire affriolante et sa superbe plastique. Avec un sens affûté de la scène – elle va chercher jusqu’au bout le talent de chacun de ses solistes sur scène (guitare, pedal-steel guitar) – bougeant sans cesse, elle sollicite régulièrement le public d’un air tour à tour hilare, autoritaire, incrédule, plaisantant et battant régulièrement le rappel pour faire monter encore un peu plus la température. Un concert plein de charisme et de générosité comme on les apprécie au plus haut point. C’est aussi avec bonheur et générosité qu’elle se prête au jeu des photos avec les fans, lors de la séance de dédicaces. Une artiste impériale !
Il incombe à Big Boy Bloater & The Drew Davies Rhythm Combo la tâche de clôturer ce 18e festival. Dès la première note, l’homogénéité de l’ensemble saute à l’oreille, alors profitons-en pour nous concentrer sur les belles interventions de Sylvain Tejerizo (saxophone baryton) et de Drew Davies (saxophone tenor), ensemble ou séparément, tout en belle finesse ou en force implacable. Thibaut Chopin, déjà vu hier avec les Cactus Candies, est revenu avec sa fidèle contrebasse et assure avec le batteur Kevin L’hermitte un drive impeccable. Mention très bien au pianiste Thierry Ollé ! Du swing, du jump-blues, du rhythm and blues années 1940-50 tels qu’aimeraient en entendre en 2024 les Wynonie Harris ou Louis Jordan s’il leur venait la bonne idée de ressusciter. À la guitare swing et au chant éraillé, un Big Boy Bloater sémillant et élégant, toujours prêt à jouer avec le public et les photographes, drive un band impeccablement compact en son et en groove. On danse, forcément, et on en redemande, tandis que le leader va percher sa silhouette imposante sur les cubes de basse devant la scène. Sans jeu de guitare ostentatoire, mais avec une finesse de jeu en solos et des riffs percutants, celui qui a fait ses armes avec Imelda May ou Paul McCartney sait comment nous faire repousser l’heure de succomber à Morphée… Un magnifique final ! Il est tard, les 14 prestations de Bain de Blues 2024 sont terminées, on repart le sourire aux lèvres et de beaux souvenirs plein la tête, avec l’an prochain déjà en ligne de mire…
Bain de Blues reviendra pour une 19e édition les 25 et 26 avril 2025 avec, n’en doutons pas, une même intelligence dans l’éclairage scénique et une acoustique toujours impeccable. Si on y ajoute la facilité de parking, l’offre diversifiée des hébergements de tous types, la restauration locale sur place, le prix d’entrée modique (44 € pour les 2 soirs) et surtout l’expérience d’une programmation toujours aussi variée, généreuse et dispensatrice de découvertes, il n’y a aucune raison de ne pas cocher ce rendez-vous sur votre calendrier 2025 !
Texte : Marc Loison
Photos © Alain Hiot