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Live reports / 28.05.2024

Técou en Blues 2024

17-18 mai 2024, Técou (Tarn)

C’est déjà la troisième édition de Técou en Blues et la sensation de plaisir qu’on a en entrant sur le site du festival confirme son statut d’événement où il fait bon aller. Arrivé en avance, on est sympathiquement reconnu et salué par les bénévoles, par le maire de Técou lui-même, Jean-François Baulès, qui n’est pas le dernier à s’activer pour que tout soit prêt, par Pascal Delmas, batteur et tourneur bien connu, mais aussi programmateur de goût car, disons-le tout de suite, la programmation de ce Técou en Blues 2024 est une des plus intéressantes à date en 2024, avec des découvertes et des valeurs sûres pour un spectre musical varié.

Le site se remplit vite et il y a un beau public pour le premier temps fort du festival avec McKinley James. Accompagné de son seul père Jason Smay à la batterie, le jeune guitariste chanteur se met rapidement tout le monde dans la poche grâce à son étonnante maturité au chant et à la guitare. On se dit que la formule en duo, depuis le départ de l’organiste, le pousse peut-être à resserrer son répertoire et son jeu sur l’essentiel, des riffs musicaux, des solos courts, des rythmes sûrs qui accrochent le public, un chant simple et solide, et le merveilleux et dansant soutien de la batterie dont on boit avec délice le moindre battement.

Shuffle, boogie, rapide ou lent, soul, le fils et le père défendent le nouvel album à paraitre début juin intitulé “Working Class Blues” (Archive Records) sans oublier les précédents avec, par exemple, Spare change blues, ni les apports extérieurs comme cette belle version de There is something on your mind. La pluie essaie de s’inviter en milieu de set, mais l’inquiétude des équipes techniques, prêtes à intervenir, et des organisateurs, ne dure pas : face à cette belle musique, elle s’est suspendue d’elle-même.

Le spectacle se poursuit dans la grande salle avec Quinn DeVeaux. Ce jeune homme, encore un, est né dans l’Indiana mais s’est établi à Nashville, peut-être en accord avec son goût pour la country music. Tout son set en est empreint, il la mélange avec ses influences soul, gospel, ou même rock ‘n’ roll. Il ne se départit jamais d’un sourire chaleureux et prend bien la lumière de la scène, en particulier pour présenter ses compositions au milieu desquelles il glisse quelques reprises, Al Green, Ray Charles et Muddy Waters, avec Tiger in your tank en cours de set et Got my mojo working  en rappel. Sa voix dénote une certaine douceur qui pourrait plus se durcir par endroits, ses accompagnateurs la servent bien avec un groove de tous les instants, c’est un très bon moment.

Noreda Graves était présente à Bain de Blues et Grésiblues en 2022, la revoici à Técou cette année. À peine montée sur scène avec ses accompagnateurs franco-italiens, elle fait parler sa puissance sur I just want to make love to you. Allons-nous avoir une formule classique chanteuse puissante/reprises de standards ? La suite va démontrer que non, tant Noreda s’approprie ses reprises (Chris Stapleton, Aretha Franklin, Wilson Pickett, Sam & Dave, Stevie Wonder, Memphis Slim, Eddie Cleanhead Vinson, Prince), présente joliment ses compositions et alterne les rythmes et les genres, blues, soul, funk. Sa présence scénique est forte, et elle embarque le public jusqu’au rappel avec un Purple rain d’exception, repris a cappella par tout le monde.

Quinn DeVeaux
Noreda Graves

Le samedi commence par la rencontre d’auteur avec Éric Doidy. Éric a pu parler avec de nombreux artistes de blues et explique ce que tous ces entretiens lui ont apporté personnellement, en particulier par rapport à sa vision de ce genre musical. Le dispositif resserré dans une partie de la salle facilite les échanges et il faut que Pascal Delmas insiste pour que la discussion s’arrête !

On sort sous le soleil pour écouter, et regarder, l’homme-orchestre Sébastopol. Il faut regarder en effet car il a un arsenal impressionnant d’instruments en tous genres, certains de facture classique, d’autres apparaissant bricolés, avec des outils de jardin, de la vaisselle, des objets du quotidien, mais aucun n’est là pour décorer car il va tous les utiliser en les présentant de façon pédagogique à la fois sur leur constitution mais aussi leur contribution à l’évolution des musiques populaires, en particulier du blues. Il chante et joue joliment des classiques du blues ancien, mais aussi des choses plus récentes, inspirées notamment par Canned Heat. Un moment de fraîcheur sous un soleil qui tape.

Sébastopol

Le Netto Rockfeller Trio lui succède. Netto Rockfeller (guitare et chant), Guilherme Ambrózio (basse) et Danilo Hansem (batterie) interprètent quelques blues de leur cru, dont un House of the rising sun instrumental et un medley Mistery train/Tiger man, chauffant doucement le public, mais il y a un franchissement de palier quand ils sont rejoints par Luca Giordano et Victor Puertas. L’instrumental West Armitage shuffle avec Victor à l’harmonica chromatique lance magistralement le débat. Les cinq compères groovent à l’unisson et ça continue sur les reprises de Sonny Boy Williamson II, Eddie Cleanhead Vinson, les morceaux jump ou blues lent qui suivent, avant que Victor passe au piano. Luca étincelle à la guitare et au chant, et les deux chantent ensemble sur le formidable Night time boogie, Victor ayant repris son harmonica. Il y a tellement de talent sur scène, tellement de possibilités qui en découlent, qu’on aimerait que ça ne s’arrête pas.

Mais il le faut bien et c’est avec le sourire aux lèvres qu’on retourne dans la grande salle pour ce qui va être la claque blues du festival avec SaRon Crenshaw et le Soul Shot All Stars, soit Cédric Le Goff aux claviers, Igor Pichon à la basse et Fabrice Bessouat à la batterie. L’instrumental en ouverture laisse tout de suite augurer d’un blues authentique, disert à la guitare mais pas bavard, et quand SaRon commence à chanter, on se dit que ça va être authentique là aussi. Funk avec Put your shoes on the other foot, boogie avec 20 room house, ballades soul, shuffles sans lasser, textes bien blues qui racontent, par exemple, l’histoire d’une femme qui trompe à la fois son mari et son amant, SaRon en profitant pour descendre dans le public pour un long solo de guitare avant de remonter sur scène et dire que ce n’est pas un blues YouTube !

Igor et Fabrice pompent les rythmes efficacement, et Cédric envoie des solos incendiaires à l’orgue. SaRon redescend dans le public pour Built for speed en format gros shuffle avant de regrimper les marches et lancer seul à la guitare un blues qu’il qualifie de classique, d’embarquer le groupe avec lui, reprendre un break seul avant un déchainement collectif final qui ne peut que générer une énorme demande de rappel. Ce sera le cas avec une reprise de I wanna get funky sur laquelle SaRon donne une sorte de résumé de son set complet, solo généreux, jeu avec la langue, descente dans le public et final sur scène avec ses trois compères.

Quoi de mieux pour clore ce festival que le jump blues de Bernard Sellam & The Boys From The Hood ? Leur musique est idéale pour finir de se délasser en bougeant joyeusement. Le répertoire est excellent avec des reprises de Guitar Slim, Chris Kenner, Johnny Guitar Watson, Clarence Gatemouth Brown, Ike Turner, Louis Jordan et d’autres encore, et des compositions dans le ton, comme Jumbo 6 to 6, Early birds special, Jalapeño blues, Never said a word. Tout cela permet à Bernard et ses boys (Franck Mottin, sax ténor ; David Cayrou, sax baryton ; Eric “Church” Léglise, basse et voix ; Julien Bigey, batterie) de s’en donner à cœur joie. Riffs précis, solos millimétrés, relance permanente, appels à la danse, tout y est. Eric prend le micro sur She walks right in, Julien est excellent à la batterie, David et Franck honkent à tout-va, Bernard lie le tout, il faut une reprise de Roy Milton en rappel pour que le public accepte de s’arrêter.

Une bonne partie de ce public reste dans la salle, le visage heureux, satisfait, se demandant peut-être déjà ce que ce superbe festival proposera en 2025.

Texte et photos : Christophe Mourot

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