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Live reports / 18.09.2024

Jazz à La Villette 2024, côté soul

Du 29 août au 8 septembre 2024.

Le rendez-vous de La Villette est devenu un rituel qui accompagne la fin des vacances d’été de nombre d’amateurs franciliens… Particulièrement fournie, l’affiche de cette année mêle, comme à son habitude, les artistes émergents et les vedettes installées, et propose une vision large et ouverte de ce qu’est le jazz. Impossible évidemment d’aller tout voir et des choix doivent être faits – pas de Tinariwen, de Delgres, de Joel Culpepper, d’Anthony Joseph ou de Kenny Garret pour Soul Bag cette fois-ci ! Retour sur quelques soirées mémorables, côté soul dans un premier temps.

C’est en effet côté soul que s’ouvre cette année le festival avec une soirée consacrée à deux voix féminines britanniques que Soul Bag suit de longue date, Alice Russell – qui était au sommaire de notre numéro d’été – et Mahalia. Pas évident pour l’aînée, qui ne s’était pas produite en France sous son nom depuis (trop) longtemps, de se présenter la première sur scène. Outre que le public est en bonne partie venu pour Mahalia – qui qualifiera Russell de « queen » pendant son propre show –, la tonalité sombre de son dernier disque ne facilite pas nécessairement l’accès à ses nouvelles chansons, qui constituent l’essentiel de son répertoire scénique. Mais Alice Russell, qui n’est pas aidée par un son fort médiocre sur les premiers titres, a du métier et n’a aucun mal à entrainer la salle dans son univers, entre sa personnalité toujours effervescente – elle répète régulièrement entre les chansons qu’elle doit « chanter et non parler » – et son exceptionnelle présence vocale. Quelques classiques comme Citizens ou Let go (Breakdown) se glissent entre les chansons du dernier disque – Rain, Sinner, Light… – qui bénéficient de bonnes déclinaisons scéniques, portées par un orchestre de fidèles (Ben Jones au clavier, Daniel Swain à la basse, Chris Boot à la batterie, Francesca Kennedy et Sophie Paul aux chœurs) sous la direction d’Alex Cowan, son collaborateur régulier, à la guitare. Russell sera de retour, cette fois en vedette, pour une tournée de plusieurs dates au mois de novembre, elle mérite d’être vue. 

À peine le temps pour son trio (Charlie Fowler à la basse, Jon Tuitt à la batterie et Ross Chapman à la guitare) de jouer quelques notes que Mahalia déboule déjà sur scène. Tout juste âgée de 26 ans, la chanteuse a pourtant déjà plus de dix ans de carrière à son actif – son premier EP est sorti en 2012… – et elle a conquis un public fidèle, à qui elle rend bien ses constantes marques d’affection. Si l’autoproclamée Luver Girl (son orthographe) chante volontiers ses déboires amoureux (elle explique que la plupart de ses chansons parlent de ses relations manquées), elle s’interdit tout autoapitoiement et fait preuve d’une salutaire autodérision dans les anecdotes qu’elle raconte avec un humour très britannique entre ses chansons. Le répertoire puise largement dans ses deux albums “Love And Compromise” et “IRL”, mais les fans se délectent aussi des titres empruntés à ses différents EP, comme Sober, qui avait fait l’objet d’une séance COLORS très populaire et qui voit une large partie du public quitter le confort de son siège pour rejoindre l’avant de la scène.

Très à l’aise, la chanteuse, qui semble beaucoup s’amuser sur scène – elle invite par exemple le chien de son bassiste à venir saluer le public –, n’en prend pas moins sa musique au sérieux et ses interprétations de titres comme Plastic plants (accueilli par une ovation) ou Whatever Simon says mettent en valeur un répertoire original et bien tourné. Quand arrive le final sur le vachard I wish I missed my ex, il est un peu tôt pour un public bien décidé à entendre quelques chansons de plus malgré les lumières déjà rallumées, et Mahalia finit par répondre à leur demande et par rejoindre la scène pour interpréter, seule à la guitare puis rejointe par ses musiciens (mais sans les effets et bandes qui accompagnaient le reste du concert), Honeymoon et quelques autres chansons, dans un moment de grâce et de communion très réussi. 

Alice Russell
Mahalia

Privé de Grande Halle pour cause olympique, le festival s’est rabattu pour quelques soirées sur le Périphérique, un lieu situé dans le parc de La Villette, en plein air, et, comme son nom l’indique, en dessous du boulevard périphérique, créant le spectacle assez improbable d’une scène littéralement en dessous d’une route sur laquelle passent voitures et camions. C’est là que se tient la seconde soirée soul du programme, qui associe deux voix masculines : la légende britannique Omar et Curtis Harding, une des voix majeures du moment. 

Pas de grandes surprises à attendre avec Omar, un habitué des scènes des clubs parisiens. Accompagné de son excellent orchestre régulier (le fidèle Lennox Cameron aux claviers et à la deuxième voix, Colin McNeish à la basse, Tony Remy à la guitare, Westley Joseph à la batterie, Eric Rohner au saxophone et Gilles Garin à la trompette), il revisite en une heure les grandes heures de son catalogue mêlant ses classiques (Essensual, l’éternel There’s nothing like this…), quelques titres plus récents (il en profite pour annoncer un album à venir l’année prochaine) et ses reprises habituelles, Everybody loves the sunshine de Roy Ayers et Be thankful for what you got. L’heure qui lui est allouée est un peu courte, mais il assure brillamment le show, devant un public qui n’est clairement pas là pour lui, profitant en particulier avec élégance d’une scène plus grande que celles auxquelles il est habitué. Espérons que cette programmation festivalière réussie donne l’envie à d’autres évènements de faire appel à lui… 

Habitué lui aussi des scènes françaises, Curtis Harding a un peu fait évoluer sa setlist depuis son passage à Pleyel l’année dernière, mais continue à puiser à peu près également dans ses trois albums albums parus sur les dix dernières années, ouvrant avec son premier single, Keep on shining. Si le show proprement dit est assez prévisible, malgré le charisme décontracté de Harding, il offre au public parisien une jolie surprise avec la présence aux côtés de son orchestre régulier (Tomi Martin à la guitare, Aaron Stern à la basse, Michael Villiers à la batterie, Joshua Strauther aux claviers) du trompettiste Ludovic Louis, membre régulier de l’orchestre de Lenny Kravitz, présent sur l’album “If Words Were Flowers”. L’ensemble souffre de quelques titres un peu oubliables, mais l’enchaînement de tubes en final, clôt par l’irrésistible Need your love, et un copieux rappel font l’unanimité auprès d’un public visiblement conquis d’avance, confirmant la légitimité d’une programmation soul au cœur d’un rendez-vous jazz. 

Texte : Frédéric Adrian
Photos © Frédéric Ragot