Lowland Brothers + Jerron Paxton, Le VIP, Saint Nazaire, 2025
14.03.2025
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La Nouvelle-Orléans, 18-20 octobre 2024.
Pour ceux qui seraient embrouillés et perdus sur l’idée même de blues, ne trouvant pas forcément dans les tremplins et autres combats de guitare bonamassien la part de diablerie attribuée initialement à cette musique, le temps est peut-être venu d’un stage chez Bobby Rush. Seul sur scène, au milieu d’un festival funk néo-orléanais, tantôt à la guitare, tantôt à l’harmonica, l’homme a indiciblement remis l’église au milieu du village. Et quand on parle d’église, l’euphémisme est de mise tant ses histoires de garbage man, de deuxième et troisième bureaux, paraissent éloignées de l’eucharistie… L’action de grâce était ailleurs. Kenny Neal et Sunpie Barnes, présents dans le public, pouvaient en attester, leurs propres cérémonies du Blues & BBQ Festival de la semaine d’avant valant, elles aussi, leur pesant de rédemption bluesée.
Il en va d’un festival funk à New Orleans comme de la manière dont la musique locale est perçue ici au gré des manifestations, des clubs et des musiciens qui la représente. Un mix servi par une programmation plurielle qui voit les musiciens faire un crossover permanent allant d’un style à l’autre sans jamais se dénaturer ou superficialiser leurs prestations.
Le guitariste Jake Ekert aura été pendant ces trois jours festivaliers le brillant thuriféraire de l’équation. En tant que leader des New Orleans Suspects opportunément supplémentés par la section de cuivres du Dirty Dozen Brass Band, il raflait la mise dès le premier soir. Ancien permanent de la mère des nouvelles fanfares de La Nouvelle-Orléans, sa façon de mélanger les répertoires et les saveurs des deux groupes déverrouillait un rhythm and groove typiquement local et personnel. Le retrouver le lendemain aux commandes de l’orchestre accompagnant son propre fils ne pouvait être considéré que comme un prolongement naturel du concert initial. À 15 ans, River Eckert peut d’ores et déjà être considéré comme un prodige pianistique d’une ville qui n’en a jamais manqué. S’inspirant de Professor Longhair et de Dr. John avec un égal brio, l’adolescent risque de refaire parler de lui dans les années à venir, Harry Connick Jr. ayant déjà dressé autour de lui un protectorat bienveillant.
Big Chief Juan Pardo s’est imposé au fil du temps comme un des Mardi Gras Indians les plus en vue. Accompagné de certains membres de la tribu des Golden Commanches et d’une partie des New Orleans Suspects, il a développé sous le nom de Tribal Gold un funk personnel qui lui permet d’adjoindre des compositions propres aux traditionnels “parlé Indians”. Une pleine réussite à laquelle le grand batteur Eddie Christmas, présent lors des trois prestations susnommées, n’est évidemment pas étranger.
Un parfait lien avec le funk de Tremé du tromboniste Corey Henry et de son orchestre incandescent où chaque note ramène à la musique de rue. Une brutalité mêlée à une virtuosité que l’on retrouve avec les Nightcrawlers du grand trombone Craig Klein. Et s’il est difficile de remplacer une personnalité trop tôt disparue comme celle de Kerry “Fat Man” Hunter, gageons que sa caisse claire incandescente, archétype du groove néo-orléanais, est entre de bonnes mains avec Sean King. Assurément, les Grammy Awards continueront à fleurir sur les Nightcrawlers comme sur les Soul Rebels. D’obédience plus “rappeuse” et franchement “bouncée” par instant, le deuxième brass band vu sur la scène du Nola Funk Festival a lui aussi fait le bonheur du public du Jazz Museum at the foot of Frenchman Street. Une verve et une dynamique qu’on retrouvait dans les prestations de l’ancienne chanteuse des Galactic, Erica Fall, du nouveau et passionnant septet de Jon Cleary ou des Dumpstaphunk d’Ivan Neville bien regroupés autour de la basse de Tony Hall et de la guitare de Ian Neville.
Un programme aussi riche en calories qu’une friture d’huîtres locales, qui se terminerait chaque soir par un dessert flamboyant, la gageure était belle et périlleuse. Si les prestations de Big Freedia et de Tank and The Bangas furent assez bluffantes avec, par exemple, un grand duo terminal de Tank et d’Angelica Joseph des Galactic, c’est bien la musique de GeoLeo qui emporta tout sur son passage. Accompagné pour l’exceptionnelle occasion par le B3 d’Ivan Neville et la batterie de Stanton Moore, c’est tout un pan de la musique des Meters qui reprenait vie là. Un répertoire passé au crible. George Porter incombustible à la basse et Leo Nocentelli plus rythmique et moins disruptif qu’en d’autres occasions assuraient dès lors la pérennité d’un son à nul autre pareil. Le groupe ultra-samplé reprenait vit en direct loin des platines et des faiseurs de son. La nuit était belle sur le French Market…
Texte et photo : Stéphane Colin
Photo d’ouverture : Jake Eckert et Big Chief Juan Pardo