Cherise, Pop-Up du Label, Paris, 2024
09.12.2024
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15 novembre 2024.
Première partie : Ise joue sans médiator d’une guitare électrique à la sonorité planante. Sa voix d’abord douce se fait rauque, impressionnante. Elle prend son acoustique, fait rouler ses accords. Il y a comme une ambiance pop-rock ’90s, quand les émules du grunge passaient à la radio. Très vite, elle annonce son âge : 18 ans. Ça donne envie au public de la soutenir, ça, et le fait que la dame mérite tout à fait qu’on la prenne au sérieux. « J’étais à Paris l’année dernière, mais c’était à la porte à côté, à la Boule Noire, donc là, c’est un cran au-dessus. » La jeune Belge s’exprime en anglais. La salle se remplit. Elle annonce qu’elle va nous jouer une chanson qu’elle a écrite il y a quelques semaines, qu’elle n’a pas encore de titre, avant de nous expliquer qu’elle a acheté son t-shirt “I Love Paris” dans une boutique pour touristes, juste avant le concert. Peut-être souhaitait-elle s’attirer les grâces d’un public réputé froid et exigeant. Elle n’avait pas besoin de ça, l’accueil est chaleureux. Nombreux sont persuadés qu’ils ont vu ce soir-là une artiste qui a les moyens sous le pied et devant elle, les années, pour faire une carrière remarquable.
Fantastic Negrito arrive, superbe, sur Runaway from you, le premier titre de son nouvel album “Son Of A Broken Man”. Il pousse des feulements avant de saisir sa gratte et de la maltraiter avec la serre qui lui sert de main droite. Il en sort une espèce très particulière de funk, assez indescriptible. Ce dernier mot s’applique assez bien à l’ensemble du concert. Si vous n’étiez pas là, je ne pourrai pas vous le décrire. Si vous étiez là, vous savez que rendre compte de ce qui s’est passé n’est pas une tâche aisée.
Uriah Duffy, qui a joué avec à peu près tout le monde de Sly & The Family Stone à Whitesnake en passant par Christina Aguilera et Tony! Toni! Toné!, slappe comme un malade dans un chaos funk rock insaisissable qui introduit I’m so happy I cry. Fantastic Negrito, parfait en réincarnation postmoderniste de Cab Calloway, fait répéter des « ah dee ha » à la salle, puis des « how how how how » à la John Lee Hooker. Il ajoute un vers ici, adapte un peu les paroles à son contexte parisien. Pouf ! Il disparaît d’un coup et réapparaît de derrière la batterie, enveloppée de fumée dans son costume de prestidigitateur mal réveillé. Il n’hésite pas à prendre la parole, s’adressant à nous (« my Parisians ») en prenant soin d’articuler pour qu’on comprenne un peu ses délires.
Les chansons sont interprétées avec tout le corps, il s’arque boute sur son micro pour atteindre les graves, quand il n’en masturbe pas le pied d’un air perturbé. Dégaine son téléphone pour faire des vidéos avec le public. Il introduit ses chansons sur son père en annonçant : « Mon père m’a eu, il avait 63 ans quand je suis né, vous savez ce que ça fait de moi ? Je suis du vieux sperme, c’est pour ça que je suis déglingué. » Fantastic Negrito chante, les yeux clos, du bout des lèvres, pendant que son groupe bombarde, passant du hard rock au boogie et à la funk de casse à bagnoles. Sur California loner, il chante à son père : « I remember the days I held your hand », en lançant sa main en l’air pour attraper celle de celui à qui son dernier album est adressé. Et on a en face de nous un enfant, autant que cet artiste jaloux de son indépendance et sûr de son originalité.
Puisque le trauma est partagé comme une source de joie et de créativité, Xavier (son prénom de naissance) prend le temps de nous parler de son frère Ali, mort à 14 ans, et du trou qu’il a vu dans sa tête, « sa vie avait une valeur », avant de se lancer dans une cover de In the pines de Lead Belly, dédiée aux mères célibataires. Bryan Simmons y livre un solo particulièrement enflammé aux claviers.
Pour le rappel, Plastic hamburgers, Uriah Duffy passe sa basse au guitariste Clark Sims, qui se montre lui aussi particulièrement meurtrier avec ce gros calibre entre les mains. Negrito invite le public à le soutenir financièrement à sa manière bien à lui : « Achetez un t-shirt, achetez un CD, achetez des cornflakes, faites un sandwich, faites un bébé… aimez ce bébé. » Il quitte à nouveau la scène avant de réapparaître, faisant semblant de s’être fait projeter sur les planches par le coup de pied d’un manager autoritaire. Il nous fait Lost in a crowd avant de repartir, visiblement heureux, avec sa bande sous le bras. Fallait le voir pour le croire.
Texte : Benoit Gautier
Photos © Cindy Voitus