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Live reports / 06.12.2024

Lucerne Blues Festival 2024

15 au 17 novembre 2024. 

Retour sur la 29e édition d’un festival qui, fort d’un public fidélisé, tend à aussi à être un lieu de rencontre privilégié en Europe pour les professionnels du secteur, musiciens, journalistes, tourneurs, organisateurs de festival, pour preuve la réunion de la European Blues Union le dimanche ou la présence pour la première fois du fameux producteur Dick Shurman.

Au programme dix groupes, tous américains, en trois soirs sur la scène principale, et c’est l’artiste ouvrant la soirée du vendredi qui aura été la grande sensation de cette édition. La jeune chanteuse et guitariste Delanie Pickering, 27 ans, très bien accompagnée par une section rythmique française (Denis Agenet à la batterie et Abdel B. Bop à la contrebasse et basse), a pris tout le monde par surprise. Elle est en fait depuis quelques années la guitariste de Johnny Hoy and The Bluefish, groupe basé à Martha’s Vineyard, sur la côte Est des États-Unis. Après un premier EP 5 titres de démo, elle se lance maintenant en solo et, chanteuse évoquant par exemple Candye Kane mais surtout guitariste au jeu hyperfluide, elle a couvert ce soir-là à Lucerne toutes les bases du style, de Chicago au Texas, du R&B ’50s au boogie sudiste, avec une facilité déconcertante. Elle sera a priori en tournée française au premier trimestre, à ne pas manquer. 

Delanie Pickering
Denis Agenet
Abdel B Bop

Pour revenir au premier soir, petite déception avec un Big Harp George un peu caricatural et beaucoup trop bavard entre les morceaux. En revanche, le Californien Anthony Paule et son Soul Orchestra, intégrant le chanteur Willy Jordan (ex-Elvin Bishop et John Lee Hooker, entre autres), qui présentait son nouvel album de compos originales, prouva qu’il n’était pas seulement fait, comme le connaissent les habitués de Porretta, pour accompagner des légendes de la soul en tournée. Un grand album personnel, repris en concert, et des chansons valorisées par un Willy Jordan exubérant confirment la santé de cette formation californienne diablement efficace !

Big Harp George
Anthony Paule
Willy Jordan
Anthony Paule, Willy Jordan
Larry Batiste

Le vendredi, après la révélation mentionnée plus haut, c’était Ruthie Foster qui prenait la scène, forte d’un nouvel album et d’une nouvelle nomination au Grammy Awards. Ruthie Foster, sur scène, c’est un peu comme feuilleter une encyclopédie de la musique afro-américaine, et d’ailleurs elle ne jouera que deux titres dudit nouvel album ! La voix est juste extraordinaire et elle ne se prive pas d’en faire la démonstration ; la musique, elle, est très calibrée, on sent la professionnelle qui sait comment accrocher un public pour qui d’ailleurs elle était la grande vedette de ces trois jours. 

Ruthie Foster
Ruthie Foster
Scott Miller, Ruthie Foster

Succès populaire donc pour Ruthie, mais la formation suivante, le Darrell Nulisch Band, amenait un supplément d’âme, malgré beaucoup plus de retenue du leader. Darrell reste un des meilleurs chanteurs actuels de soul blues, et l’écouter interpréter (I’m gonna) Tear your playhouse down d’Ann Peebles ou Pouring water on a drowning man de James Carr, c’était le frisson garanti. Le bonus et le point fort de la soirée, ce fut la présence à la guitare d’Alex Schultz, représentant émérite de la scène blues californienne des années 1980-90, ex-Rod Piazza ou Tad Robinson, maintenant domicilié en Allemagne. L’homme nous joua les parties de guitare sûrement les plus évocatrices et délicates de ces trois jours et donna envie de reprendre sa discographie pour se plonger dans ce jeu très fin qu’il maîtrise à merveille.

Darrell Nulisch
Alex Schultz
Alex Schultz, Darrell Nulisch

Le samedi, c’est fut le set du Nick Moss Band augmenté de Ben Levin au piano qui laissa le public K.O. debout. Le groupe est aujourd’hui ce qui se fait de mieux dans le Chicago blues contemporain et chaque intervention guitaristique du leader est un brûlot attisé par les chorus d’harmonica de Dennis Gruenling et on en sort chancelant à chaque fois, touché au cœur (et à l’âme) par la richesse et la qualité d’expression du groupe. À voir régulièrement pour entretenir le feu du blues qui brûle en nous !

Nick Moss
Nick Moss, Dennis Gruenling
Dennis Gruenling
Ben Levin

Mention spéciale le même soir pour Lil’ Jimmy Reed, dans le cadre de la Nola Blue Revue emmenée par Benny Turner, qui mit le feu avec son jeu de guitare (faussement) rustique et un dynamisme vocal surprenant, se permettant de reprendre des standards éculés pour les rendre tout à coup à nouveau pertinents à travers sa lecture ancrée dans la tradition des juke joints où les musiciens n’ont pas d’autre choix que de tout donner pour faire danser les présents au risque sinon de devoir de quitter les lieux par la porte de derrière ! 

Harrell Davenport, Lil’ Jimmy Reed, Benny Turner
Harrell Davenport
Trudy Lynn, Lil’ Jimmy Reed

Mais le vrai bonus, l’info que se partageaient les “initiés”, c’est l’existence le samedi après-midi en ville au Wonder Bar d’une jam-session entre talentueux musiciens locaux et artistes présents pour le festival. Public et musiciens se bousculaient donc dans 50 m2, certains passant même derrière le bar, et pendant un peu plus deux heures on put voir et entendre par exemple Anthony Paule et Delanie Pickering (guitares), Egidio “Juke” Ingala (harmonica), Willy Jordan (chant, batterie) et même le grand J.T. Lauritsen (chant), se confronter à guitaristes, batteur et bassiste du cru pour le grand bonheur des présents qui soudain se croyaient dans une taverne enfumée de Chicago. Le festival fêtera ses 30 ans en 2025, nous y serons, c’est sûr !

Texte : Éric Heintz
Photos © Brigitte Charvolin

Benny Turner
Trudy Lynn
Benny Turner, Trudy Lynn
Tyron Benoit