;
Live reports / 31.07.2019

Nice Jazz Festival 2019 (Part. 3/3)

19 et 20 juillet 2019.

C’est le très versatile José James, passé du jazz à la soul et par tous les looks inimaginables, qui inaugure cette quatrième soirée sur la scène Masséna. Ce soir, il joue à fond la carte du soulman des 70s avec son costume décontracté, ses lunettes de soleil et sa coupe afro. Panoplie de circonstance puisqu’il s’agit de rendre hommage à la musique du grand Bill Withers. 

Accompagné par un aréopage de musiciens talentueux − le guitariste Marcus Machado, la bassiste Aneesa Al-Musawwir et le batteur Aaron Steele − le chanteur de Minneapolis, qui s’accompagne occasionnellement à la guitare électrique, a opté pour une formation resserrée, où les cuivres et les claviers brillent par leur absence.

C’est une valeur sûre qu’il choisit pour entamer son récital : Ain’t no sunshine et son refrain qu’il s’amuse à faire tourner en boucle tel un disque rayé. Le timbre de velours du crooner colle à merveille au répertoire withersien, d’autant plus qu’il laisse poindre d’évidentes similitudes. Après avoir revisité d’autres standards de l’artiste − Who is he (And what is he to you?), Use me, Kissing my love − James en profite pour aborder ses propres morceaux, pour le plus grand bonheur de ses fans, venus en nombre.

Son Trouble se teinte d’une progression harmonique évoquant de façon subliminale If you want me to stay. Ou comment astucieusement teaser un glissement vers le classique de Sly & The Family Stone, parfaitement assuré par la bassiste Aneesa Al-Musawwir, qui se révèle aussi être une chanteuse convaincante. L’Américain embrayera sur les deux numéros funky qui avaient sauvé du naufrage son médiocre et oubliable “Love In a Time of Madness” : un Ladies man donnant droit à un complice et savoureux duo de guitares entre James et Marcus Machado, suivi de Live your fantasy.

Résonnent ensuite les entrelacs de guitare de sa fameuse ballade Come to my door, que l’artiste dédie à son auteure : « Shout out to Emily King. » Le public a les paroles scotchées aux lèvres. Puis retour au thème de la soirée. Un Just the two of us habilement négocié en dépit du contexte, Marcus Machado s’appropriant les plans de saxophone à la guitare, avant de se lancer dans un solo lascif. Comme on l’a vu, José James adore intégrer des clin d’œils à d’autres morceaux et c’est tout naturellement qu’il divague vers un autre modèle de cette soul californienne enrobée de smooth jazz, le What you won’t do for love de Bobby Caldwell, avant de revenir à quai.

Passer de Grover Washington, Jr. à Hendrix, même pas peur ! Le célèbre Fire déplace logiquement les débats vers un son plus rock et énergique. Avant de laisser place au gimmick croisé de guitare et de basse, reconnaissable entre mille, du final Lovely day, précédant un rappel audacieux, où José James s’attaque, d’un phrasé rappé-jazzé ponctué de scratches vocaux, au Park bench people de Freestyle Fellowship, le morceau avec lequel il s’était fait connaître il y a onze ans déjà. 

Sans jamais se départir de son sourire si communicatif, José James esquisse des pas de danse, tombe la veste, descend chanter au milieu du public à deux reprises, et semble se délecter de la ferveur d’une audience visiblement familière de son œuvre. Un show jouissif qui fut incontestablement l’un des temps forts de cette édition 2019 !

Setlist
Ain’t No Sunshine (Bill Withers)
Who is he (And what is he to you?) (Bill Withers)
Use me (Bill Withers)
Kissing my love (Bill Withers)
Trouble (José James) / If you want me to stay (Sly & The Family Stone)
Ladies man (José James)
Live your fantasy (José James)
Come to my door (José James)
Just the two of us (Grover Washington, Jr. Feat. Bill Withers) / What you won’t do for love (Bobby Caldwell)
Fire (Jimi Hendrix)
Lovely day (Bill Withers)
Park bench people (Freestyle Fellowship)

José James

Deuxième partie de soirée. Hocus Pocus est dans la place. La place Masséna, transformée pour l’occasion en Place 54, du nom de leur deuxième album, dont la tête imposante orne la scène. On le sait, le combo nantais se fait désormais rare, leur dernier disque en date “16 Pièces” remontant à 2010. 

C’est sur des notes dépouillées de kalimba que les musiciens font leur entrée. Les infrabasses vrombissent, la section de cuivres roucoule et DJ Greem chauffe le public à coups de scratches quand soudain, une voix se fait entendre. Celle de 20syl, qui n’apparaîtra sur scène que quelques secondes plus tard. 

En avant pour un Voyage immobile dédié à J Dilla, où le rappeur promène son flow sur l’instru du Runnin’ de The Pharcyde, produit par ce dernier. À en juger les déhanchements de la foule au gré de leurs sonorités hip-hop infusées à la soul, au funk et au jazz, le voyage offert au public niçois par la bande à 20syl ne le sera assurément pas. 

Le groupe prendra beaucoup de risques avec son répertoire, donnant à entendre des versions souvent totalement neuves, de quoi compenser leur long silence discographique. Sur leur album “Place 54”, Quitte à t’aimer était bercé par la mélancolie du Petit pays de la Cap-Verdienne Cesária Évora. Ici revu et corrigé en duo acoustique avec leur chanteur-guitariste David Le Deunff, aux inflexions folk soul reggae, il joue des coudes avec le Caution de Bob Marley & The Wailers.

Après quoi chaque membre enregistrera à tour de rôle sa contribution sur la loop station posée au milieu de la scène : beatbox, scat ou chœurs, c’est selon. Un instru organique que le rappeur américain Mr. J. Medeiros, moitié de The Procussions, viendra dévaler à toute vitesse de son débit mitraillette. Ce dernier et 20syl duettiseront sur Hip hop ?, avant de scinder le public en deux clans. Le premier, peu familier de la langue de Molière, fera répéter peace unity love, le second jazz soul hip-hop, avant que finalement les deux mantras ne fassent plus qu’un et réunifient l’assemblée.

Entre-temps, DJ Greem et les musiciens du groupe s’en seront donné à cœur joie pour le plus grand plaisir des dénicheurs de samples, émaillant leur jeu de multiples références, du Sucka nigga de A Tribe Called Quest au Chameleon de Herbie Hancock en passant par The message de Grandmaster Flash. Plus tard, ils feront vibrer le tubesque Smile au son des cuivres reggae du Master blaster de Stevie Wonder.

Quant au fraîchement quadragénaire 20syl, il n’a rien perdu de son énergie ni de son éloquence. C’est toujours un plaisir de prêter attention à ses rimes, aux propos ultra-percutants et à la poésie éclatante, d’autant plus que certaines ont acquis une saveur toute particulière au regard de l’actualité. Depuis ses débuts, Hocus Pocus fait entendre sa différence sur la scène rap hexagonale, en incarnant une certaine idée du hip-hop, aux textes positifs mais conscients et aux sonorités organiques, qui font d’eux l’équivalent français des Roots. Vivement le prochain album !

Setlist
Voyage immobile
J’attends – remix
Onandon
Onandon Pt. 2
Mr Tout le monde
Caution
(Bob Marley & The Wailers) / Quitte à t’aimer
Dig This
Vocab
Hip hop ?
À mi-chemin
Smile
Le majeur qui me démange
Beautiful Losers

Hocus Pocus

Le Nice Jazz Festival touche déjà à sa fin. C’est aux Congolais de Jupiter & Okwess d’ouvrir tambour battant cette cinquième et dernière soirée. Leur musique, qu’ils qualifient de Bofenia rock, est, pour reprendre la définition qu’ils en donnent sur leur page Twitter, un mélange d’afropop, de rythmes traditionnels congolais, de funk et de rock. C’est surtout une invitation à la danse car comme le rappelle son chanteur Jupiter : « Depuis la nuit des temps, on ne fait que danser. »

Le groupe a emmené la chaleur de l’Afrique dans ses bagages. Une musique survitaminée à l’euphorie contagieuse, débauche ininterrompue de rythmes en tous genres. Batterie, percussions, hauts tambours, hochets et même instruments bricolés de toutes pièces comme cette boîte de lait en poudre tirée par une corde. Tel le calme au milieu de la tempête, Pondjo pondjo offre le seul moment de répit de la soirée, avec sa mélancolie délicieusement envoûtante.

Spontanéité, générosité et frénésie, le collectif dégage une sympathie à toute épreuve. À commencer par son chanteur chapeauté, Jupiter, qui aime se raconter et nous livrer ses anecdotes truculentes, toujours avec un grand sourire aux lèvres. Solaire.

Jupiter & Okwess

Puis c’est au tour du groupe français Kimberose d’arpenter la scène Masséna. Entourée de musiciens formidables dont les interventions pleines de ressenti et expertement ciselées témoignent d’une science aiguë de la soul grand teint, la chanteuse Kimberly Rose Kitson Mills s’avère être une grande interprète, pleine de nuances, capable de s’approprier le plus éculé des classiques et de vous prendre aux tripes avec.

En témoigne sa reprise piano-voix, placée au cœur de son set, du I say a little prayer d’Aretha Franklin, « hommage à la plus grande chanteuse de tous les temps », selon ses mots. À la délicatesse infinie du piano répond une voix fragile et sensible, comme suspendue dans l’éther et dans le temps. Kimberly sait aussi nous émouvoir sur le beaucoup plus personnel et sombre Wolf, hanté par des aplats d’orgue Hammond et guitares surf tranchantes. « La chanson la plus intime et difficile à chanter », confie-t-elle car dédiée à son père décédé.

D’autres morceaux de son premier album seront à l’honneur – Needed you, I’m sorry, I’m broke, About us – mais la chanteuse sait aussi jeter des coups d’œil dans le rétroviseur. Notamment avec No more, l’un des premiers morceaux qu’elle a écrit et qui ne figure pas sur l’album. « Cette chanson m’accompagne depuis des années. Elle me rappelle une période de ma vie où je m’ennuyais beaucoup. On a tendance à oublier ses rêves et j’ai écrit cette chanson pour m’en souvenir. » Une belle ballade bleutée tressée dans de délicats arpèges de guitare évoquant le How can you mend a broken heart d’Al Green. Féline, Kimberly cajole et rugit, fait patte de velours et griffe, entre Minnie et Betty.

Elle dévoile aussi au public niçois une poignée de chouettes nouveaux morceaux, qui témoignent de sa volonté de s’émanciper du carcan néo-Amy pour s’inscrire dans une trajectoire soul plus globale, qui englobe aussi le reggae sur Blah blah blah.

Kimberose conclut en beauté une édition 2019, qui, en dépit de quelques choix discutables pour attirer le grand public en ratissant bien au-delà des musiques connexes au jazz, fut globalement un excellent cru.

Texte : Mathieu Presseq
Photos © David Nouy

David NouyfestivalHocus PocusJosé JamesJupiter & OkwessKimberoseMathieu PresseqNice Jazz Festival