Cherise, Pop-Up du Label, Paris, 2024
09.12.2024
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Nuits de l’Alligator, 13 février 2020.
Bernard Adamus, dégaine de raveur amateur de kalimotxo s’installe devant une Maroquinerie pas encore bien remplie. « Salut, on va chanter du blues, ce s’ra déprimant. » Le Québécois constate qu’il n’est pas aussi connu à Paris que chez lui, mais il peut compter sur une poignée de fans acharnés qui l’accompagnent comme une chorale improvisée. Adamus s’amuse souvent du fait que son public n’entrave absolument rien à ses sérénades. « C’tune chanson fleuve qui parle de mes amis et de toutes sortes de situations, mais ça sert à rien que je vous le dise, je ferais aussi bien de sprachen zie deutsch. » À défaut de profiter de sa poésie (« cette chanson s’appelle Brun la couleur de l’amour, mais ça ne parle pas de sodomiiie », « Oh là les lolos »… ), on peut profiter de sa voix éraillée, parfois émouvante, et surtout du jeu du talentueux Simon Paget, à la contrebasse et au banjo à six cordes. On aura droit aussi à une adaptation de Wonderful world et on entendra en coulisses un trompettiste certainement un peu impatient de monter sur scène.
La Maroquinerie est impatiente, elle aussi : elle rugit quand le Californien s’assoit à son clavier et se lance dans Everytime it rains. On est pris entre le marteau bleu acier du regard de Kelly Finnigan et l’enclume d’un groupe compact, ajouré de cuivres magnifiques. On se fait taper dessus avec gratitude. Sous les coups du maître forgeron des Monophonics, le public parisien crie et lâche ses premières étincelles.
« Certains pensent que la prochaine chanson est une chanson religieuse, mais c’est une chanson qui parle de l’âme humaine. » Can’t let him down est matraquée, et les Atonements, comme les grands sportifs qu’ils sont, gèrent leur effort et ne se laissent pas embarquer par l’intensité de leur musique. Nous en revanche, on s’y laisse glisser sans arrière-pensée et on profite avec bonheur du son épais et délicieux de la guitare de Joe Crispiano. Le morceau est épique, ça commence à ruer dans les brancards dans la fosse de la Maroquinerie.
Notre homme commence à se sentir dans son élément, il s’adresse à son public parisien et se remémore les années passées ici, notamment quand il accompagnait Ben L’Oncle Soul, présent dans la salle. Smoking and drinking, dit-il c’est ce qu’on fait à Paris pour s’amuser, et selon lui, les Atonements ne donnent pas leur part aux chiens.
On a droit, spécialement pour nous, à Dream des Brothers of Soul, qui donne l’occasion à Paul Chandler d’un solo de trompette incendiaire. On enchaîne sur un morceau des Sentiments, autre projet de Finnigan sur Colemine Records, avec She won’t be gone long et son superbe refrain. Une instrumentale construite autour de deux ou trois parties d’orgues aussi simples qu’efficaces nous amène sur I don’t wanna wait. Le grand homme se lève et nous balance quelques coups de trique dans les jambes en staccato.
La tension retombe autour d’une intro blues mineur façon Bobby Bland première époque qui débouche sur I called you back baby. Finnigan est dans son élément, la peine et le désespoir. « Cette chanson parle de la pire sorte de peine de cœur », nous dit-il avant de ululer I’ll never love again. Les formidables choristes (Florelie Escano et Gizelle Smith) jouent le rôle de sirènes qui nous amènent 20 000 lieues sous les mers pour profiter de l’ivresse des profondeurs et de l’apitoiement sur soi. Il nous sourit mais nous, qui sommes plongés dans le laminoir, on voit bien quand il nous regarde que ses yeux pleurent.
Pour nous consoler des misères qu’il nous fait, Kelly Finnigan nous offre un morceau tout juste sorti de la forge. That girl is mine a été écrit avec ses acolytes, Max et Joe Ramey, qui tiennent respectivement la basse et la guitare rythmique ce soir-là. On finit sur Open the door de Darell Banks. Tout le monde hurle, on tape à la porte, enragés comme le peuple de Sodome devant la maison de Loth. En un instant, le Vulcain en costard trempé a disparu de scène. Comme par magie, il apparaît une seconde plus tard derrière le stand de merchandising, en tee-shirt, tout sourire, remerciant tous ceux qui viennent le saluer ou lui acheter quelques produits de son atelier à emporter en souvenir. Il faudra quelques jours pour faire redescendre la température de la Maroquinerie transformée ce soir-là en haut fourneau.
Texte : Benoit Gautier
Photos © Frédéric Ragot
Merci à Hugues Marly pour son aide à identifier les reprises.