D’Wayne Wiggins (1961-2025)
10.03.2025
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Né le 21 décembre 1943 à La Nouvelle-Orléans, dans une famille musicale – il est le neveu de Guitar Slim et Lightnin’ Slim et le cousin d’Ernie K-Doe –, il ne tarde pas à se lancer lui-même, fondant dès le début de son adolescence un premier groupe gospel a cappella, les True Love and Gospel Singers. Invité avec ses camarades à se produire à la radio, il est fasciné par le guitariste du studio. En rentrant chez lui, il construit lui-même son premier instrument, qu’il utilise jusqu’à ce qu’un de ses oncles lui offre une vraie guitare.
Il ne tarde pas à se faire remarquer sur la scène locale, son goût de la joute scénique avec les autres guitaristes lui valant le surnom de Wolfman. Âgé d’à peine 19 ans, il est embauché au sein de l’orchestre de scène de Lee Dorsey, avec lequel il tourne dans tout le pays pendant deux ans et demi – avec une première étape sur la scène de l’Apollo, un choc pour un jeune homme qui n’a jamais dépassé les limites de sa région natale. De retour à La Nouvelle-Orléans, il monte son propre orchestre, le All Fools Band, avec lequel il joue dans les clubs et accompagne différents artistes, parmi lesquels Irma Thomas et David Lastie Sr. Il fait ses débuts discographiques à la fin des années 1960 avec une poignée de 45-tours sous la houlette d’Eddie Bo, sans grand succès.
C’est à cette époque qu’il noue un partenariat artistique au long cours – plus de deux décennies – avec le chanteur Johnny Adams, qu’il accompagne sur disque (“Christmas In New Orleans With Johnny Adams” en 1982) et sur scène, en particulier pour les concerts réguliers d’Adams à la Dorothy’s Medallion Lounge de La Nouvelle-Orléans. S’il trouve le temps de graver son premier album en 1981, “Leader Of The Pack” (réédité en 1992 par Charly sous le titre “Get On Up”), son travail d’accompagnateur prend alors la priorité, lui interdisant de développer en parallèle sa propre carrière.
Le succès des disques de Johnny Adams produits par Scott Billington pour Rounder au milieu des années 1980 sur lesquels il apparaît (“From The Heart”, “Room With A View Of The Blues”, “Walking On A Tightrope…”) lui permet d’acquérir une certaine visibilité et, dans la foulée, de publier trois albums personnels très réussis, “Wolf Tracks”, “Out Of The Dark” et “Wolf At The Door”, également produits par Billington et parus sur Rounder. Le blues boom du début des années 1990 lui donne même la possibilité de publier un album sur Pointblank, le label spécialisé de Virgin, “Sada”, sur lequel il est accompagné par son groupe régulier, les Roadmasters.
S’il tourne ponctuellement aux États-Unis comme en Europe, c’est dans les clubs de La Nouvelle-Orléans qu’il a ses habitudes, assurant pendant plus d’une décennie le concert du samedi soir au Maple Leaf Bar. C’est peut-être ce peu d’enthousiasme à l’idée de voyager qui explique les limites de sa carrière discographique, dont la modestie quantitative n’a que peu à voir avec la richesse qualitative, et il ne publie que deux albums personnels, “Blue Moon Risin’” et “Funk Is In The House”, dans le courant des années 1990.
Quand survient Katrina, il est un des premiers musiciens à remonter sur scène, au Maple Leaf. Après dix années de silence discographique, il retrouve ses Roadmasters en 2008 pour l’album “Doin’ The Funky Thing” et monte en parallèle un trio avec le pianiste Joe Krown et le batteur Russel Batiste, qui publie une série d’albums entre 2008 et 2013. C’est d’ailleurs en trio qu’il se produit en France en 2008 et 2009, passant notamment par Cognac, Cahors, Périgueux et le New Morning.
Après un album en public à diffusion limitée en 2013, “Howlin’ Live At DBA New Orleans”, il sort un nouveau disque studio en 2018, “My Future Is My Past”, couronné de cinq étoiles dans Soul Bag, qui bénéficie des moyens – un orchestre all stars avec Stanton Moore, James Singleton et David Torkanowsky et la participation d’Irma Thomas – et de la distribution du label Anti-, qui lui donne une visibilité inédite. Rattrapé par un mode de vie débridé – la nécrologie de Keith Spera pour nola.com parle d’un « fumeur et buveur engagé avec une vie personnelle tumultueuse », il connaît régulièrement des problèmes de santé, jusqu’au cancer des amygdales qui lui est diagnostiqué au début de 2022.
S’il continue à assurer quelques concerts, au French Quarter Festival et au New Orleans Jazz & Heritage Festival en particulier, il est obligé de ralentir ses activités, même s’il a joué en public jusqu’au mois de septembre. Deux jours avant sa mort, son traditionnel concert d’anniversaire au Maple Leaf était assuré sans lui par Joe Krown et les Roadmasters. Il s’était produit pour la dernière fois en France en 2013, à l’occasion du festival Blues sur Seine. Unanimement respecté et aimé par la communauté musicale de La Nouvelle-Orléans, il sera salué par ses collègues à l’occasion d’un concert au Tipitina’s le 8 janvier. Il avait été interviewé à plusieurs reprises dans les pages de Soul Bag (la dernière fois dans notre numéro 231 de l’été 2018) et en avait fait la couverture à la rentrée 2008 (numéro 192).
Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © Greg Miles