15 août 2023.

À seulement 21 ans, Nirek Mokar a déjà une longue carrière derrière lui. Enfant de la balle s’étant pris de passion pour le boogie-woogie après l’avoir découvert au Speakeasy, club parisien où son père travaillait, il apprend le piano en autodidacte et sort son premier CD à 13 ans. Accompagné depuis 2016 des Boogie Messengers, constitués de certains des meilleurs spécialistes français du blues et du rhythm and blues, il publie cet été son cinquième album, le roboratif “Back To Basics”, qui bénéficie sur tous les titres de l’apport précieux de Sax Gordon.

Dire que le groupe fait des étincelles frise l’euphémisme tant leur virtuosité, leur connaissance intime des grands classiques, respectueuse mais jamais poussiéreuse, leur bonheur de jouer, leur volonté de donner du plaisir aux spectateurs et la franche camaraderie qui les unit leur confèrent une énergie enthousiasmante. Saluons aussi l’excellent travail des organisateurs du Festival Jazz à Jonzac (et notamment sa responsable, la formidable Maïté Auboin-Hannoyer, pour qui musique, amitié et hospitalité ne font qu’un) : cadre exceptionnel (le magnifique Cloître des Carmes, situé à proximité du fameux Château qui domine toute la vallée de la Seugne), prise de son impeccable, large scène permettant aux musiciens de naviguer à leur aise, jeux de lumière mettant en valeur l’architecture des lieux, personnel d’accueil chaleureux et convivial (vis-à-vis des spectateurs comme des musiciens, ce qui ne contribua pas qu’un peu à la bonne ambiance générale), public complice et nombreux (le concert a fait salle comble), tarification à prix doux. 

Bref : tous les ingrédients étaient réunis pour profiter des deux généreux sets de boogie-woogie (majoritairement) instrumentaux concoctés par les sémillants Messengers. Au piano, sourire constamment vissé aux lèvres, Nirek Mokar confirme avec éclat son statut de jeune prodige : basses roulantes martelées par une puissante main gauche, main droite virevoltante, énergie rock ’n’ roll, enluminures jazzy, sens du swing. C’est un grand pianiste, digne héritier d’Albert Ammons, Lionel Hampton (dont il reprend avec brio le New central avenue breakdown), Roosevelt Sykes ou Memphis Slim. Ses compositions, dont les intitulés témoignent d’un humour et d’une humilité bienvenus, font mouche, à l’image du bluesy Shuffle chelou, du rock ’n’ roll Twist à la Huchette (c’est un habitué du célèbre caveau parisien) ou What I drink, décalque affectueux du What I’d say de Ray Charles (auquel il rend également hommage via la reprise de Rockhouse). On apprécie également sa capacité à interpréter des slow blues bien sentis ainsi que son hommage touchant à l’actrice française Maïra Schmitt (Maïra).

Son groupe est irrésistible : au ténor, le vétéran Claude Braud (73 ans et toujours vert !), à la sonorité virile et à l’impeccable exactitude rythmique (le boogie est un style qui ne souffre d’aucune approximation), Stan Noubard-Pacha à la guitare, que l’on ne présente plus et dont la finesse du toucher fait mouche à chaque intervention (une Melody Maker branchée dans un ampli en son clair, rien d’autre ; pas besoin de pédales d’effets, ses doigts s’occupent du reste !), Nicolas Dubouchet à la contrebasse, spécialiste du slap rockabilly et des walking-basses jazzy blues et Guillaume Nouaux à la batterie, formidable d’entrain, de swing et d’empathie, signataire d’un solo dont la musicalité déclencha les vivats de l’assistance. Citons enfin Sax Gordon, plus en forme que jamais et dont chaque intervention fait courir le grand frisson. Quel sound ! Quelle générosité ! Quelle autorité ! Quel entertainer ! Quelle élégance aussi, dans cette façon de toujours valoriser ses coéquipiers ! Son interprétation de son titre emblématique, Have horn will travel, constitua un des moments les plus excitants de la soirée.

Le concert se conclue avec la reprise déchainée de Jumpin’ at the woodside de Count Basie : Nirek debout derrière son clavier, rythmique en feu, les deux saxophonistes qui arpentent les allées et reprennent ad lib le thème du célèbre morceau, poses iconiques, chorégraphies hilares, fausses sorties et reprises multiples. Que du bonheur !

Nirek et ses Messengers tournent régulièrement en France, à Paris comme en Province. S’ils passent près de chez vous, ne les manquez pas tant sont devenus rares les musiciens qui maîtrisent à ce point le boogie-woogie – ce style centenaire toujours aussi frais et enthousiasmant.

Texte : Ulrick Parfum
Photos © Cléa Parfum