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Live reports / 25.10.2024

Baby Rose, La Place, Paris, 2024

25 septembre 2024

« C’est ma première date parisienne », annonce fièrement Baby Rose en montant sur scène. Ce qui nous étonne : Soul Bag l’a déjà vue, il y a pile cinq ans (soulbag.fr/baby-rose-snoh-aalegra-la-gaite-lyrique-paris/), et en avait d’ailleurs gardé un très bon souvenir. Mais il est vrai qu’elle n’était encore jamais venue pour autre chose qu’une première partie. C’est donc chose faite : ce 25 septembre marque la fin de sa propre petite tournée “européenne” (de ces tournées d’artistes américains qui ne semblent faire halte qu’au Royaume-Uni et en Allemagne). 

Veinards que nous sommes, la native d’Atlanta passe cette fois aussi par la France, à l’occasion d’une soirée Platform organisée à La Place – centre culturel parisien plutôt dédié à la promotion des cultures et musiques hip-hop qu’à la fusion R&B soul que sert l’Américaine depuis son premier album, “To Myself” (2020). C’est donc dans en terrain peu conquis que Baby Rose arrive sur scène, après une première partie assurée par le DJ parisien Armel Bizzman, habitué des soirées Platform. Son mix de R&B mainstream – du très récent et du classique – est plutôt apprécié par l’audience, pas très attentive cependant. L’organisation du lieu et de la soirée étant ce qu’elle est, la porte de la salle s’ouvre et se referme sans cesse, et le public semble s’intéresser à ce qui se passe sur scène de manière assez détachée, flânant entre le bar et la scène pour profiter de toutes les ambiances – c’est la fashion week cette semaine, et elle s’est apparemment déplacée à La Place ce soir. Nul doute en jetant un œil au public, composé pour une moitié de fashions un peu poseurs et pour l’autre des fans puristes d’Odd Future (le collectif auquel appartient Earl Sweatshirt, en seconde partie de soirée) : c’est bien le rappeur californien que tous attendent. Difficile exercice pour Baby Rose, qui débarque la première simplement accompagnée de Biako, son bassiste.

Du style, Baby Rose n’en manque pas. Mais le sien est avant tout vocal. Sur scène, le long manteau qu’elle porte malgré la chaleur étouffante de la salle, la casquette vissée sur une imposante chevelure bouclée, ne sont qu’une façade pour mieux révéler ce qui attend le public de La Place : une voix grave, rauque, et très certainement surprenante pour ceux qui n’ont pas prêté une oreille aux différentes sorties de l’Américaine. Un set cadré, limité par le fait que la soirée Platform programme deux artistes à la suite. Tell me it’s real (“Through And Through”, 2023) sert d’introduction. 

Il est toujours dommage de faire sans accompagnement instrumental live lors d’un concert. Toutefois, les titres de Baby Rose fonctionnent suffisamment bien pour ne pas tant pâtir de cette absence. La backing track apporte juste ce qu’il faut de soutien et la basse de Biako, bien que finalement peu nécessaire, complimente très bien la rythmique des sons les plus entraînants. À l’image de Weekness, dont la superbe ligne de basse valait tout de même le coup d’être entendue jouée en direct. 

La chanteuse pioche ensuite dans l’ensemble de son répertoire et de ses trois sorties principales, trois albums et un récent EP. On apprécie aussi entendre Closer, single sorti en 2023 et qui ne figurait pourtant pas dans la tracklist de “Through And Through”. Le public dispersé en début de set, finit par se regrouper devant la scène, accroché par It’s alright, issu de “Slow Burn” (2024). Vient ensuite le titre éponyme de cet EP réalisé avec la complicité des Canadiens de BadBadNotGood. Les productions composées pour Baby Rose par le trio semblent capter encore un peu plus l’attention du public – qui les connaît peut-être davantage, les titres de l’EP faisant partie des sorties les plus streamés de la chanteuse. À l’écoute de l’album et de la qualité de l’arrangement instrumental, on s’était pris à imaginer ce que donneraient ces productions en live, et on finit tout de même par déplorer l’absence d’un véritable groupe derrière la chanteuse. Si les couplets du titre tiennent davantage du R&B planant, plein d’un vibrato auquel elle nous a habitués, son refrain pousse en revanche jusque dans des aigus moins fréquents, qui offrent une nervosité nouvelle à sa prestation. Et lui permettent de démontrer toute l’amplitude d’une voix de contralto bien moins restreinte que ce que l’on peut pressentir aux premiers abords. 

Baby Rose

Les titres de “Slow Burn” continuent de s’enchaîner : c’est ensuite au tour d’On my mind, qui nous fait également réaliser à quel point la présence du seul musicien est presque inutile puisque la totalité des arrangements – et les très bonnes compositions de BadBadNotGood – est assurée par la bande enregistrée. Voyons le bon côté, la performance de Baby Rose n’est jamais couverte par l’accompagnement instrumental, et on entend clairement toutes les fioritures de son timbre. Il serait inexact de parler de fébrilité ; au contraire, ce que propose Baby Rose ce soir est plein d’assurance et d’aisance. Mais sa voix est comme toujours teintée d’une certaine nervosité, une sorte de vibration constante, encore plus présente – et appréciable – en live. On savoure.

Le concert continue avec une sublime réinterprétation du titre de ses débuts, introduit comme « a song that got me through some shit » – sentiment partagé depuis 2020 et la découverte de ce All to myself. Dans une version acoustique, sobrement accompagnée de son seul bassiste – on change d’avis à nouveau, peut-être bien que sa présence n’est finalement pas si dispensable que ça ! – elle délivre sans aucun doute le climax de son set. Sa seule voix, ponctuée de vibratos appuyés mais jamais poussifs, semble d’un coup occuper tout l’espace de La Place, réussissant le jeu d’équilibriste de monter en puissance, oscillant vocalement sur le fil de la cassure, sans jamais déborder dans l’excès. Les fashionistas ont laissé tomber lunettes et casquettes, les fans d’Earl Sweatshirt captent enfin la chance qu’ils ont de se voir proposer ce si beau spectacle avant de voir monter sur scène leur rappeur préféré. Le moment suspendu s’achève par la révélation d’une intensité vocale qu’on n’avait jusque là pas encore entendue. Et par une respiration collective laissant retomber une étrange tension, qu’on n’avait même pas senti monter en nous.

La pression redescend ensuite tranquillement : le jazzy Caroline est l’occasion de faire une dédicace à Mereba, en featuring sur la version studio. Une cover de Landslide vient rappeler à quel point l’influence de Stevie Nicks sur toute une génération de chanteuses américaines est grande, et dépasse les strictes frontières du rock. Leur tessiture, se surprend-on à penser, se ressemble par moments : la frontwoman de Fleetwood Mac comme la star de la soirée chantent toutes deux d’une voix grave, quasiment rauque, leurs tourments amoureux et leurs états d’âme.

S’enchaînent ensuite plusieurs titres : ce sont Show you et Mortal, issus de son premier album, mais aussi une paire de titres présents sur son second. On pouvait le prévoir, One last time, titre évocateur des derniers instants, sert d’au revoir après tout juste une heure de set. 

On aurait aimé entendre davantage de titres, notamment ceux de “To Myself”. Prolonger un peu le moment alors que, déjà, certains regardent avec insistance leur montre et se questionnent sur l’heure d’arrivée d’Earl Sweatshirt. Appréciant pleinement l’heure écoulée et les applaudissements nourris – et amplement mérités – du public, Baby Rose est ensuite rapidement de retour pour un rappel. Un seul titre, sûrement choisi pour son ton rassembleur. Les paroles assez entendues de Power (« love has the power to heal the whole wide world ») sont effectivement l’occasion pour la chanteuse de clôturer son concert par quelques poncifs sur le rôle de la musique qui emplit les cœurs et résout les problèmes. Elle enjoint le public à reprendre le refrain en chœur et, enfin, rallie tous ceux qui semblaient observer de loin le beau spectacle du début de soirée. Le public hip-hop peut être sectaire, parfois, mais Baby Rose n’a pas froid aux yeux. Son départ pour la tournée nord-américaine du rappeur Vince Staples – un autre nom de la nébuleuse Odd Future, décidément – dès son retour en terres nord-américaines en ce début d’automne le montre bien : il y a dans ces sphères le public pour sa musique, et elle compte bien partir à sa rencontre. 

Comme déjà lorsque Soul Bag l’avait découverte en live, Baby Rose réussit à nous convaincre, une fois de plus. Et à convaincre toute la salle. Par la précision et l’intensité de ses prestations vocales bien sûr, mais également par la détermination avec laquelle elle s’impose dans une soirée où elle n’est pas, de toute évidence, attendue comme l’acte principal. Il faut mettre le paquet pour persuader : Jasmine Rose Wilson – son nom au civil – le fait sans forcer, misant tout sur une voix qu’elle sait puissante et affirmée. Au milieu des fashions et aficionados du hip-hop alternatif de la côté ouest, Baby Rose est chez elle, à l’aise. Si elle décide de revenir dans la capitale aussi souvent que s’y tiennent des fashion weeks, on sera les premiers à s’en réjouir.

Texte : Kiessée Domart-N’Sondé
Photos © Frédéric Ragot