;
Hommages / 21.10.2024

Barbara Dane (1927-2024)

Voix majeure des musiques américaines dans leur ensemble – elle n’a jamais voulu choisir entre folk, blues, jazz et spirituals –, Barbara Dane a vécu la vie dont elle parlait dans ses chansons. Militante et activiste tout autant qu’artiste, elle a refusé, au contraire de nombre de ses contemporains, de jouer le jeu de l’industrie musicale et a assumé fièrement les conséquences de ses choix. Comme l’écrivait Bob Dylan, avec qui elle a partagé la scène avant que le chanteur choisisse, lui, une autre voie : « Barbara est quelqu’un qui est prêt à suivre sa conscience. Elle est, s’il faut utiliser le terme, une héroïne. » 

Née le 12 mai 1927 à Détroit dans une famille plutôt bourgeoise, Dane découvre l’engagement, aux côtés du parti communiste, en même temps que la musique, sous l’influence de Pete Seeger et chante régulièrement à l’occasion de grèves et manifestations, notamment en faveur des droits civiques. Elle a déjà 30 ans quand elle publie son premier album, “Trouble In Mind”, sur lequel elle revisite les œuvres des premières blueswomen, de Sippie Wallace à Ma Rainey, et qui lui permet d’acquérir une certaine réputation, apparaissant notamment dans plusieurs émissions de télévision et bénéficiant des éloges enthousiastes de Louis Armstrong.

Paru en 1960, le single I’m on my way – sur lequel les producteurs Lee Hazlewood et Lester Sill ont ajouté des cuivres à son insu – lui vaut un certain succès, mais c’est, en dehors d’un disque Capitol paru en 1962, essentiellement dans un registre folk et blues qu’elle s’exprime, avec une série d’albums parus sur Dot, Horizon Records et Folkways. Installée à New York, elle joue un rôle de marraine pour de nombreux artistes de la scène folk naissante, parmi lesquels Bob Dylan – son personnage apparaît d’ailleurs dans le biopic à venir, A Complete Unknown –, mais joue aussi régulièrement avec des musiciens afro-américains, de Lightnin’ Hopkins, avec qui elle enregistre en 1964, aux Chamber Brothers, avec qui elle se produit au festival de Newport. Son album avec eux est d’ailleurs très probablement le premier disque à associer en couverture une femme blanche et des hommes afro-américains.

Avec les Chambers Brothers, Newport Jazz Festival 1965 © DR
Avec Memphis Slim (p) et Matt Murphy (g) © DR

En 1961, elle ouvre son propre club, Sugar Hill: Home of the Blues, situé à San Francisco. Elle s’y produit régulièrement et y programme de nombreux artistes jazz et blues, de Jimmy Rushing à Big Mama Thornton, en passant par T-Bone Walker ou John Lee Hooker, qui y enregistre un album en public. Refusant de faire passer ses engagements après sa musique, elle participe à de nombreux évènements revendicatifs, notamment en soutien du mouvement des droits civiques et à la lutte contre la guerre du Vietnam. En 1966, elle est la première artiste américaine à se produire dans le Cuba castriste. Attachée à son indépendance, elle monte avec son mari, le journaliste et militant Irwin Silber, le label Paredon, qui publie sous sa direction une cinquantaine d’albums jusqu’au début des années 1980 : ses propres disques (dont “I Hate The Capitalist System”, sortie en 1973), mais aussi des enregistrements d’autres artistes, dont Bernice Johnson Reagon, des anthologies de chansons engagées (y compris par des artistes vietnamiens) et des disques politiques, dont des discours de Fidel Castro, de Che Guevara et de Huey Newton ainsi qu’une improbable mise en musique de discours de Ho Chi Minh. 

« I hate the capitalist system
And I´ll tell you the reason why
It has caused me so much suffering
And my dearest friends to die »

Avec Lightnin’ Hopkins, 1964 © Chris Strachwitz

Plus discrète à partir des années 1980, elle publie ponctuellement des albums comme le très réussi “Throw It Away”, sorti en 2016. Elle répond aux questions de Soul Bag en 2014 (notre numéro 215), publie ses mémoires en 2022, This Bell Still Rings: My Life of Defiance and Song, et fait l’objet d’un documentaire récent, The 9 Lives of Barbara Dane. Restée active jusqu’à la fin, elle répondait quelques jours avant sa mort aux questions d’un journaliste du Guardian et rappelait le principe qui avait guidé sa carrière : « Il y a un pouvoir dans la musique qui unit les gens. Vous pouvez prendre une salle pleine de gens et leur faire ressentir leur proximité avec une chanson d’une manière sans équivalent. »

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture : Newport Folk Festival 1965 © DR

© DR