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Live reports / 16.02.2022

Big in Jazz Collective, New Morning, Paris

3 février 2022.

Né au début des années 2000 en Martinique, le Big In Jazz Festival n’a pas eu besoin d’attendre la mode actuelle pour s’intéresser aux musiciens caribéens. C’est donc en toute logique que l’équipe du festival, privée d’édition 2020 par les circonstances, a réuni pour une résidence quelques-uns des meilleurs musiciens du genre, venus de la Martinique, de la Guadeloupe et d’Haïti : le pianiste Maher Beauroy, le saxophoniste Jowee Omicil, le trompettiste Ludovic Louis, les guitaristes Ralph Lavital et Yann Négrit, le bassiste Stéphane Castry et les batteurs Tilo Bertholo et Sonny Troupé.

Le résultat de cette réunion au sommet a été un album très réussi, “Global”, sorti à l’été 2021 et très bien accueilli (y compris dans les colonnes de Soul Bag). Après une brève apparition en décembre à la soirée de TSF, il était temps que le collectif fasse ses vrais débuts parisiens, et c’est un New Morning plein à craquer – en tenant compte de l’impératif des places assises – et très motivé qui attend l’ensemble.

C’est deux par deux que les musiciens rejoignent la scène et commencent à jouer : d’abord les batteurs, puis les guitaristes, puis le bassiste et le pianiste et enfin les deux soufflants. Chacun d’entre eux est chaleureusement accueilli par le public. Il faut dire qu’il s’agit d’un vrai “all stars” : si Jowee Omicil est sans doute celui qui est le plus connu, grâce à ses apparitions dans différents festivals, tous ou presque ont enregistré au moins un album sous leur propre nom, en plus de leur participation à différents projets, et tous sont des habitués des scènes parisiennes.

Sans surprise, c’est le répertoire de l’album “Global” qui constitue le cœur du programme de la soirée, ouvert par le Mi belle journée du pionnier guadeloupéen Al Lirvat, popularisé à la fin des années 1960 par Alain Jean-Marie. De l’historique Serpent maigre d’Alexandre Stellio, créé en 1929 sur disque par l’Orchestre Antillais dont il était le clarinettiste, au Tomaline de Marijosé Alie, en passant par La chandelle d’Eugène Mona, chantée ici par Maher Beauroy, il traverse les époques et les origines précises pour être revisité sous un prisme contemporain porté par la virtuosité des musiciens.

Jowee Omicil, Sonny Troupé, Stéphane Castry
Jowee Omicil, Ludovic Louis, Stéphane Castry

Pas d’exotisme facile ou de doudouisme sous leurs mains : c’est à une certaine fusion des années 1980, celle portée en particulier par Ultramarine, que renvoie le son global du groupe, qui ne s’embarrasse d’aucune orthodoxie et ne s’interdit ni le funk – impossible que Stéphane Catry n’ait pas écouté Verdine White ! –, ni le rock, ni les effets électroniques. Comme le dit à un moment Jowee Omicil paraphrasant Toussaint Louverture : « Nos racines sont nombreuses et profondes. » Si Stéphane Castry semble diriger du geste l’ensemble, c’est bien d’un collectif qu’il s’agit : les solistes se succèdent de façon fluide et chacun semble jouer de façon à soutenir les autres.

La cohésion de l’ensemble comme l’évident plaisir de jouer de tous contribue à la réussite du projet : les sourires et les marques d’affection entre musiciens ne trompent pas, qu’il s’agisse des checks de Castry à ses collègues ou du bras de Ludovic Louis passé sur l’épaule de Jowee Omicil en plein solo. Et même Omicil, dont l’exubérance peut se montrer un peu éprouvante en d’autres circonstances, est ici parfaitement intégré dans le son d’ensemble.

Côté public, l’enthousiasme n’est pas moindre, et la salle ne se fait pas prier pour reprendre à pleine voix la mélodie du seul titre original de la soirée, le bien nommé Global, que la diffusion régulière par quelques radios de goût a transformé en petit tube (au moins à l’échelle du New Morning !). Une version dynamitée de Come together, ouverte par des guitares en mode free, sert de final, avant un rappel à rallonge, à la hauteur des réactions du public, qui se prolonge pendant presque une demi-heure, le temps d’un hommage à Jacob Desvarieux avec le Sweet Florence de Kassav puis d’un magnifique Concerto pour la fleur et l’oiseau emprunté à Marius Cultier. Il faut un certain temps pour redescendre après avoir assisté et participé à une telle débauche d’énergie, en espérant que ce concert extraordinaire ne soit que le premier d’une longue série.

Texte : Frédéric Adrian
Photos © Yannis Perrin

Yann Négrit
Ludovic Louis, Jowee Omicil, Stéphane Castry