Jaz Karis, La Boule Noire, Paris, 2025
05.03.2025
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Lausanne, Suisse, 2 et 3 juin 2023.
Fête de village, pique-nique campagnard, réunion de famille(s), week-end entre amis, c’est un peu tout ça le Blues Rules. Les organisateurs ont en effet réussi avec le temps à faire se concilier une ambiance étonnamment bon enfant, les âges, origines ou nationalités des spectateurs n’ayant aucune importance, et une programmation musicale exigeante axée sur le blues originel du Mississippi. Le site est accueillant avec food trucks, disquaires, bières et vins locaux, petite scène intersets, et confortable avec mobilier de jardin, chaises longues, bancs et tables de pique-nique. Le public fidèle se révèle en grande majorité pas forcément très connaisseur des subtilités du programme tout en appréciant énormément les prestations des groupes et artistes proposés.
Cette année, la marraine (virtuelle) de l’événement n’est autre que Jessie Mae Hemphill, la chanteuse-guitariste du North Mississippi Hill Country décédée en 2006. Comme toujours, la programmation met en avant des artistes et groupes afro-américains venus des collines du nord du Mississippi, ajoutant souvent à l’affiche des groupes européens influencés par ce genre musical et rendant hommage aux fondateurs (Junior Kimbrough, R.L. Burnside et donc Hemphill). Avec 16 artistes ou groupes sur deux jours, ça démarrait à 18 h pour finir entre 1 et 2 heures du matin ! Revenons sur les sets les plus marquants de ces deux journées intenses.
Seule date européenne ce vendredi pour un duo inédit, la diablesse Molly Gene, chanteuse et guitariste slide du Missouri, est associée à l’angélique californienne Sarah Rogo, chanteuse et elle aussi guitariste slide. Les deux complices proposent un Mississippi blues mâtiné de roots gospel et de raga indiens qui se révèle séduisant. Molly Rogo, pour sa première venue en Europe, s’affirme comme une chanteuse à suivre.
Un peu plus tard, la guitariste belge Ghalia Volt, elle bien connue du public français, et qui se produit depuis 2020 en tant que one woman band, confirme que les années passées à arpenter le sud des États-Unis ont contribué à faire d’elle une artiste irrésistible en concert, vocalement impressionnante et instrumentalement féroce.
Puis vient la surprise du jour, dans cette affiche exclusivement féminine du vendredi, avec Natalia M. King. On se souvient de l’artiste révoltée qui proposait au début des années 2000 un rock alternatif ardu et on la retrouve aujourd’hui en chanteuse et guitariste de blues de grande classe. La révolte est plus subtile, son blues est longuement mûri et d’autant plus intense. Très bien accompagnée par des musiciens français, elle est la sensation du jour, à revoir à Paris peut-être prochainement.
Arrive la fin de cette première soirée, et avec la nuit tombée il est temps de basculer dans l’ambiance des juke-joints du Mississippi d’aujourd’hui avec d’abord Peggy Hemphill alias Lady Trucker, puis Johnie B. et sa partenaire Queen Iretta Sanders. Excellente impression surtout avec Lady Trucker, pilier, avec son mari le batteur Artemas Lesueur (un des mentors de Cedric Burnside), de la scène régionale contemporaine, qui fait danser le public avec son blues lascif et ses paroles second degré. À noter qu’en plus de son mari à la batterie, elle est accompagnée par Janky à la guitare et deux membres du groupe belge Well Well Well qui s’acquittent superbement de leur tâche et que l’on retrouvera le lendemain après-midi sur la scène intersets.
Le samedi est un grand jour puisqu’est programmé en exclusivité européenne Monsieur Bobby Rush, mais aussi plus tard dans la soirée Memphissippi Sounds, le duo blues rap constitué de Cameron Kimbrough et Yella P, dont nous vous parlions dans notre numéro 245. Avec Buddy Guy, Bobby Rush est tout simplement une des dernières légendes vivantes du blues. Le natif de Louisiane qui aura 90 ans en novembre ne manque pas de nous rappeler qu’il a côtoyé dans les fifties Muddy Waters et Howlin’ Wolf. Il a fait le voyage juste accompagné d’une de ses danseuses et chanteuses, la dénommée MizzLove, et c’est donc un set en grande partie acoustique, guitare et harmonica, qu’il va proposer pendant près d’une heure.
N’en déplaise aux esprits chagrins qui attendaient un show “full band” avec son côté dansant irrésistible et tous ses excès assumés, sa prestation en solo nous a permis de découvrir un aspect peut-être plus vrai et émouvant de l’artiste, proche de ses racines et heureux de partager son vrai blues avec un public reconnaissant. Reprises de classiques enchaînées avec des impros vocales où se mélangent folklore, histoires vraies et paroles d’autres chansons, ce n’est même pas que Bobby Rush maîtrise son sujet, c’est qu’il est tout simplement dans son élément, libre et détendu. Une vraie leçon de deep blues originel.
La dernière demi-heure verra sa MizzLove le rejoindre sur scène ainsi que tous les membres de Well Well Well pour un final où Rush fait le show attendu, roulant des hanches, interpellant le public et vantant les mérites “physiques” de sa danseuse ! Une mention spéciale pour Lord Bernardo, l’harmoniciste belge, absolument époustouflant dans ses échanges avec le patron qui d’ailleurs le pousse à souffler encore et plus, heureux de ce soutien de qualité.
Memphissippi Sounds sera ensuite un des deux derniers groupes de la soirée et du festival, leur synthèse fraîche et puissante de Hill Country blues, Memphis soul et hip-hop contemporain retient encore un peu les derniers spectateurs, puis la douce nuit lausannoise absorbe définitivement les partants. Rendez-vous est pris pour l’année prochaine !
Texte : Éric Heintz
Photos © Séverine Gonzalez – cvrin prod