Cherise, Pop-Up du Label, Paris, 2024
09.12.2024
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En ce lundi 11 septembre 2023, Paris crève la gueule ouverte, désespérant que trois gouttes de pluie lui tombent dans le gosier. Elles ne viendront pas. Mais il y a des soifs plus insidieuses, qu’on ignore jusqu’au moment où par chance quelque chose vient nous déshydrater. Il y a des bouts de peau qui démangent en silence, à la lisière de la conscience, jusqu’au moment de délivrance inattendue, s’il nous prend la bonne idée de nous gratter.
Et pendant toutes ces années, le public parisien réprimait sa soif de musique “campagne”, grossièrement assimilée au patriotisme post 11-septembre et au mauvais goût des beaufs français qui pleurent sur Eddy Mitchell en santiags. Il faut croire que quelque part dans son inconscient verrouillé par l’ironie et une froideur maladive, le Parisien avait soif des notes de pedal steel guitar qui dégringolent comme une source claire entre les rochers des Appalaches. Bref, il faisait chaud, le public était nombreux, et nous avons été surpris de le voir si jeune et enthousiaste.
La créature qui s’avance seule vers le micro semble s’être échappée d’une mine de mithril dans un film de Peter Jackson pour poursuivre son rêve de devenir un cowboy chantant. Et en vérité la présence d’Ags Connolly, un des joyaux de la country tire larme d’outre-Manche est une excellente surprise. C’est en écoutant la réaction très enthousiaste du public qu’on mesure que quelque chose a changé. Il y a peu, un vaquero originaire du Norfolk (UK), seul avec sa guitare poussant des chansonnettes tristes sur des mélodies surannées se serait fait accueillir avec autant d’enthousiasme qu’une poussette dans la ligne 13 à l’heure de pointe.
Connolly joue entre autres Get out of my mind, Slow burner, Wrong again, et termine sur le tubesque I hope you’re unhappy, tiré de son superbe album “Nothing Unexpected” de 2017. Si Ags Connolly est si bien accueilli, c’est certes du fait de son chant qui fait parfois des merveilles, et à des compositions qui font parfois mouche. Mais si le public parisien rugit, voire râle, c’est parce qu’enfin, on le gratte au bon endroit.
Le Café de la Danse est donc déjà bien (sur)chauffé quand la troupe de tejanos de Charley Crockett se plante sur scène sur une musique western bolognaise peu originale. Dès les premières chansons, nos mariachis ont l’air de souffrir de la chaleur parisienne. Ils soufflent et on voit des gouttes de sueur pendouiller au bout de leur nez comme dans les gros plans de Sergio Leone. Crockett lui, Stetson blanc immaculé vissé sur le crane et nippé dans costume de circonstance (chemise en velours rouge sang, futal moulant en tergal) se dandine et parcourt la scène avec agilité, décontraction, un flegme calculé presque sexy, tout en lançant à gauche et à droite des œillades suggestives.
Comme me le dit mon voisin DK, un hippie de Caroline du Nord expatrié à San Fransisco, pour un type qui écrit et chante des chansons tristes, le show est particulièrement “upbeat”. C’est effectivement explosif. Les jeunes gens du public se trémoussent en narguant la canicule sur des sonorités que leurs parents trouveraient probablement incroyablement has been.
Les Blue Drifters en véritables Ramones des honky tonks, enchaînent les titres à un rythme frénétique, nous laissant tout juste le temps d’hurler notre joie primaire et de perdre quelques calories supplémentaires en rivalisant à l’applaudimètre avec un autre voisin, australien cette fois, venu spécialement d’Amsterdam du haut de ses 25 ans pour voir son chanteur favori.
Des accents ricains, britanniques et donc australiens fusent quand Crockett termine les rares ballades de sa setlist. C’est aussi ce que l’on finit par comprendre au fil de ce show jouissif et attendu de longue date. Dans cette ville-monde qu’est Paris, la présence ce soir d’un gros pourcentage d’Anglo-Saxons donne certainement une atmosphère particulière. Plus qu’enthousiaste, la salle est à fond ! Aller et retour constant à l’abreuvoir, refrains chantés à l’unisson, verres plus ou moins vides (en plastique, faut pas déconner) qui volent d’un bout à l’autre de la fosse. Un vrai parfum de saloon !
Country soul, country folk, country blues, reflets honky-tonk, tex-mex ou rock ‘n’ roll, Crockett maitrise ses sujets et les défends avec brio. Parfois il laisse la place à Charley, plus intime, moins poseur peut-être. Quelques mots pour citer ceux qui ont compté dans son cheminement de musicien, et ce sont les noms de James Hand ou Jerry Reed qui résonnent quand arrive le moment de les chanter (Lesson in depression, Midnight run, I feel for you), tout en restant concentré sur son jeu de scène chaloupé, aguicheur ou la présentation au fil de l’eau des musiciens qui l’accompagne.
Paris lui évoque le temps où il faisait la manche dans la rue des martyrs, gagnant selon ses propos plus de fric qu’au pays. Syndrome exotique rigole-t-il. Et c’est vrai que vu d’ici, pour le banlieusard que je suis, ce line-up très South Texas (un quintet gérant l’équilibre à la perfection entre guitares, banjo, pedal steel, contrebasse-basse, orgue-piano-trompette-accordéon diatonique) m’embarque bien loin. J’étais pourtant prévenu, mais à ce point-là, damn !
Environ 1h30 et 26 titres plus tard (+ 2 pendant le rappel), on évacue les lieux tout dégoulinants et un peu hébétés. Retrouvailles avec les camarades de Soul Bag et quelques connaissances, sourires aux lèvres et constat à l’identique : des débuts de semaine comme ça, on en veut bien tous les lundis !
Texte : Benoit Gautier et Julien D.
Photos © Wilfried-Antoine Desveaux