Nikki Giovanni (1943-2024)
11.12.2024
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Née le 30 septembre 1933 à Newark, dans le New Jersey, d’une famille venue de Géorgie, Emily Drinkard est encouragée dès l’enfance à chanter, en particulier à l’église et au sein du groupe monté dès 1938, à l’initiative de son père, avec une de ses sœurs et deux de ses frères, les Drinkard Four. Le décès précoce de ses parents la conduit à vivre à la fin de son adolescence avec sa sœur aînée, les trois enfants de celle-ci, les futures Dionne et Dee Dee Warwick et sa fille adoptive, la future Judy Clay. Après avoir connu différents changements de personnel, les Drinkard Four, rebaptisés Drinkard Jubilairs, font leurs débuts discographiques au milieu des années 1950 avec deux 78-tours sur Savoy puis un premier album studio, “A Joyful Noise”, sous le nom des Drinkard Singers sur RCA en 1958, qui fait suite à leur apparition l’année précédente au Newport Jazz Festival, également immortalisée sur disque (“Gospel Singing At Newport”).
Deux autres albums suivent, pour le petit label Choice, avant que la chanteuse – qui s’est entre-temps mariée avec un certain John Russell Houston Jr. – ne fasse la bascule vers le monde séculier en 1963, avec un single solo, This is my vow, publié sous le nom de Cecily Blair, mais aussi en rejoignant l’ensemble vocal monté par les deux sœurs Warwick – elle y remplace Dionne – avec Doris Troy. Cette même année 1963, elle donne naissance à une fille baptisée Whitney, dont elle assurera dès l’adolescence la formation vocale et qu’elle associera rapidement à ses séances en studio.
Si la composition de ce groupe vocal est fluctuante au fil des années, il ne tarde pas à s’imposer dans les studios d’enregistrements, en particulier aux côtés d’artistes Atlantic comme Solomon Burke, Wilson Pickett, King Curtis, Dusty Springfield ou Esther Phillips. C’est dans ce cadre que se noue la relation artistique la plus riche de celle qui se fait désormais appeler Cissy Houston, quand elle est appelée à participer aux chœurs du premier album pour le label d’une chanteuse prometteuse, Aretha Franklin. Au fil des années, et jusqu’au dernier disque studio de celle-ci, Houston sera régulièrement à ses côtés, sur disque comme sur scène, et elle l’accompagne sur plus de 75 faces différentes.
Les artistes pop et rock du moment, de Van Morrison à Jimi Hendrix font également appel aux voix angéliques du groupe, qui se baptise les Sweet Inspirations à partir de la parution de la signature d’un contrat d’artiste avec Atlantic, qui publie un premier album éponyme en 1967 et quelques singles qui passent à peu près inaperçus – au point qu’il soit raisonnable de se demander si ce contrat n’est pas surtout un moyen pour Atlantic de s’assurer de la loyauté de celles qui sont devenues un élément indispensable du son du label. Le groupe publie néanmoins une série d’albums, dont un disque gospel dont elle est la chanteuse principale, “Songs Of Faith & Inspiration”, crédité à Cissy Drinkard & The Sweet Inspirations. En 1968, Sweet inspiration, une composition de Dan Penn inspirée de leur nom – et non l’inverse –, leur permet de décrocher un petit succès, et le groupe commence également à accompagner sur scène Elvis Presley.
Fin 1969, cependant, Houston décide de quitter les Sweet Inspirations et de se lancer dans une carrière solo à plein temps, après quelques singles ponctuels les années précédentes pour Congress et Kapp sous le nom de Sissie Houston. Son premier album, “Presenting Cissy Houston”, sort en 1970 sur Janus, mais l’absence de répertoire original le pénalise, et les quelques singles qui en sont tirés connaissent un succès mitigé, même s’ils entrent dans les différents classements. Le passage ensuite à un répertoire original – avec notamment la première version après celle du compositeur de Midnight train to Georgia, qui deviendra un tube l’année suivante pour Gladys Knight & the Pips – n’est pas plus concluant, et Houston se replie sur son rôle de choriste de studio, qu’elle n’a jamais abandonné, apparaissant notamment sur des disques de Donny Hathaway, Roberta Flack, Brook Benton, Herbie Mann et Millie Jackson, mais aussi de Paul Simon, Bette Midler ou Linda Ronstadt, sans oublier Aretha Franklin. Tout en continuant à chanter pour les autres – Aretha bien sûr, mais aussi Luther Vandross, dont elle est très proche, Chaka Khan, les Neville Brothers, Diana Ross… –, elle relance sa carrière solo dans un registre disco sous la houlette du producteur Michael Zager avec une série d’albums entre 1977 et 1979 qui connaissent un certain succès. La parenthèse est cependant éphémère, et, en dehors d’un album de duos avec Chuck Jackson en 1992 et de quelques singles, c’est essentiellement pour les autres – et en particulier pour sa fille, avec qui elle enregistre le duo I know him so well – qu’elle chante jusqu’au milieu des années 1990.
Bien qu’elle ait mis l’accent sur sa carrière séculière, Houston n’a jamais totalement abandonné le gospel, assurant les fonctions de directrice musicale de la New Hope Baptist Church de Newark et participant à l’organisation dans la même ville du McDonald’s Gospelfest. C’est dans ce registre qu’elle fait son retour discographique à la fin des années 1990 avec deux disques, “Face To Face” et “He Leadeth Me”, qui paraissent sur l’éphémère label lancé par la chaîne de clubs House Of Blues. Ceux-ci marquent cependant la fin de la carrière commerciale de Houston qui se contente par la suite d’apparaître ponctuellement sur les disques de proches comme Vandross et Aretha Franklin. En 2006, elle enregistre pour une musique de film la chanson Family first avec sa fille et sa nièce Dionne Warwick. Le décès tragique de sa fille la propulse sous les feux peu empathiques des médias, et elle publie en 2013 un livre de souvenirs, Remembering Whitney: My Story of Love, Loss, and the Night the Music Stopped, dans lequel elle raconte sa version de l’histoire. Elle apparaît une dernière fois aux côtés d’Aretha en 2014 lorsque celle-ci vient promouvoir son dernier album solo dans le Late Show de David Letterman. Largement moquée, sa prestation ce soir-là illustrait déjà la maladie d’Alzheimer qui allait marquer ses dernières années.
Si l’œuvre de Houston avec les Sweet Inspirations a été largement rééditée (notamment dans un triple CD paru en 2021, “Let It Be Me – The Atlantic Recordings 1967-1970”, ses disques personnels ont été moins bien traités. Si ses faces Janus ont été compilées à plusieurs reprises, aucune de ces anthologies ne semble disponible aujourd’hui, et seuls ses deux premiers albums Private Stock ont été réédités en CD il y a plus de dix ans. Mais sa voix est partout sur les meilleurs disques Atlantic des années 1960…
Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © DR / Collection Gilles Pétard