Cherise, Pop-Up du Label, Paris, 2024
09.12.2024
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18 avril 2019.
En sortant fumer une cigarette, l’organisateur du concert confie à un ami qu’il y a plus de monde qu’il ne l’espérait. Au fond de la salle, quelques tables sont installées devant la petite scène : on trouve qu’il n’y a tout de même pas grand monde étant donné l’importance du personnage. Les murs sont décorés de fresques d’inspiration mexicaine. Corey Harris s’installe tranquillement, sous les regards croisés de la Vierge de Guadelupe et de la Santa Muerte. Il choisira d’interpréter une majorité de classiques qu’il connaît sur le bout des doigts : Special rider de Skip James, Pony blues de Charley Patton, Monday morning blues de Mississippi John Hurt.
On est peut-être un peu déçu de ne pas entendre plus de titres de la solide discographie de Harris, mais ces morceaux choisis sont joués avec tellement de brio ici qu’on se laisse volontiers guider dans le musée. Harris n’a aucune difficulté à faire se trémousser les figures de cire des héros du blues acoustique. L’anthropologue est très réservé en apparence, mais son chant est incroyablement dramatique. Sous les traits très affables du rastafarien en chemisette proprette et pantalon beige se cache une voix caverneuse et étouffante, et on y aperçoit une noirceur qui laisse assez peu de place à l’espoir.
Harris présentera quelques titres de son dernier album, enregistré en Italie où il réside. Dans un français maîtrisé, il le présentera comme un disque de chansons spirituelles. On y trouve aussi des protest songs qu’il jouera ce soir-là, comme Watching you et Red man, qui mériteraient peut-être un accompagnement plus conséquent pour prendre toute leur dimension.
Pour quelques chansons, l’Américain invite sur scène le chanteur guinéen Moh Kouyaté. Il dessinera des enluminures au médiator autour du finger picking de Harris durant des morceaux qui nous ont laissé au sol. Le jeu du guinéen est précis et original. Il se promène autour des accords de l’Américain et ouvre des chemins inattendus. On verrait bien deux heures de cette collaboration : Harris y trouve un moyen de toucher l’Afrique qu’il a toujours lorgnée, et Kouyaté semble trouver un grand plaisir à faire exactement l’inverse.
À la pause, on trouve Harris vendant des sacs de sa confection aux barmaids à un prix d’ami (il y a aussi des bracelets si ça vous intéresse), avant de reprendre pour un dernier set de vingt minutes devant une salle presque vide. Personne n’avait dit qu’il s’agissait d’un entracte et les gens sont partis sans savoir qu’ils loupaient une dernière tournée de la boisson forte et épaisse que produit cet étrange artisan. On en a lapé jusqu’à la dernière goutte.
Texte : Benoit Gautier
Photo © DR