;
Live reports / 27.03.2019

Davell Crawford

Duc des Lombards, Paris 1er, 1er mars (1er set)

Le “Piano Prince of New Orleans” s’était fait rare depuis quelques années sur les scènes françaises – il dira même ne pas avoir joué en club à Paris depuis vingt ans, mentionnant avec nostalgie ses séjour à rallonge au Méridien. Il faut dire que, depuis ses débuts il y a maintenant trente-cinq ans – et un long papier dans Soul Bag 136, à l’automne 1994 –, Crawford n’a pas vraiment confirmé sur disque ses promesses initiales – il mentionnera pendant le show ses difficultés personnelles passées –, et seuls deux albums sont venus le rappeler à notre mémoire ces vingt dernières années… Physiquement, malgré un look flamboyant, il ne semble pas en grande forme, se déplaçant avec l’aide d’une canne, et son arrivée sur scène se fait dans une certaine confusion.

Mais la magie opère dès qu’il approche ses mains du clavier. Compositeur sans envergure – les quelques originaux interprétés ce soir sont des accumulations de clichés –, chanteur limité, Crawford est sur son instrument de prédilection – qu’il n’abandonnera que pour quelques notes au mélodica ! – non pas l’héritier des grands pianistes de La Nouvelle-Orléans mais leur continuateur. Loin de se contenter d’émuler le jeu de Professor Longhair ou de James Booker, il a développé une approche personnelle de l’instrument qui s’est nourrie de l’œuvre de ses prédécesseurs (quel pied quand il se décide à balancer quelques notes « à la Booker » !) tout en les dépassant, un peu comme l’avait fait, quelques générations plus tôt, un Allen Toussaint.

Son aisance technique, combinée à une musicalité exceptionnelle lui permettent de se lancer, à partir d’un matériau finalement prévisible dans de telles improvisations que ses accompagnateurs pourtant chevronnés (le bassiste de La Nouvelle-Orléans Max Moran, aussi à l’aise à la contrebasse qu’à la basse électrique, et le batteur Jeff Boudreaux, également originaire de la ville mais installé de longue date en France) semblent parfois presque perdus, malgré les indications que leur donne, de la voix et du geste Crawford. Ainsi, une belle version instrumentale de St. James Infirmary sert d’introduction à Let them talk, tandis que le standard Everything must change donne lieu à un long medley instrumental au sein duquel émerge le Hello de Lionel Ritchie avant de se terminer par un Let it be revisité à la sauce louisianaise !

Côté répertoire, les “usual suspects” du répertoire local sont au programme, du Jockomo de son grand-père Sugarboy Crawford au Ruler of my heart d’Irma Thomas, en passant par Something you gotRockin’ pneumonia and the boogie woogie flu, Ain’t that a shame et plusieurs compositions liées à Professor Longhair, chacun réinventé au gré de l’inspiration de l’artiste. Mais Crawford ne se limite pas à satisfaire nos appétits folkloriques : il salue la mémoire d’Aretha d’un délicat Daydreaming, celle de son ancienne voisine Abbey Lincoln d’un vibrant Throw it away, et rend hommage à sa marraine Roberta Flack – toujours bien vivante, elle ! – d’un Feel like making love ludique – c’est là que le mélodica fait son apparition ! Malgré un public étonnamment peu réactif, surtout pour une salle comble, Crawford assure le show et finit en beauté par un What’d I say qui doit plus au louisianais Jerry Lee Lewis qu’à Ray Charles, avant un généreux rappel qui intègre notamment If you love me, la version dans la langue de Fats Domino de l’Hymne à l’amour.

Si l’apparition de Crawford au Duc des Lombards semble être un concours de circonstance – il a mentionné que son séjour parisien était à l’origine prévu pour des vacances –, il est à espérer qu’elle lui permette de revenir régulièrement tant il est un artiste qui mérite d’être entendu en direct.

Texte : Frédéric Adrian
Photos (prises pendant les balances) © Frédéric Ragot

Dave CrawfordDuc des LombardsFrédéric AdrianFrédéric RagotJames BookerJeff Boudreauxlive in Parislive reportMax Morannew orleanspianoProfessor Longhair