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Hommages / 08.03.2020

Doris Duke (1941-2019)

Responsable avec l’album “I’m A Loser” de l’un des plus grands enregistrements deep soul de tous les temps, Doris Duke avait coupé les ponts avec l’industrie musicale depuis le début des années 1980, et la nouvelle de son décès, fin mars 2019, a mis plusieurs mois à parvenir à ses admirateurs. 

Née Doris Curry à Sandersville en Géorgie dans une famille très musicale, c’est sur la scène new-yorkaise qu’elle fait ses débuts professionnels comme choriste en studio et en concert, en particulier à l’Apollo. Elle intègre le groupe de scène de Nina Simone, qu’elle accompagne sur disque mais aussi en tournée, y compris à l’occasion de son passage à l’Olympia en 1968. Elle tente également de lancer une carrière personnelle sous son nom de femme mariée, Doris Willingham, sans grand résultats : un contrat avec Motown ne lui permet pas de dépasser le stade des démos et deux 45-tours parus sur des micro-labels passent inaperçus. 

Les choses changent à la fin des années 1960 quand elle est présentée à Jerry Williams. Celui-ci – qui vient de quitter son poste de producteur pour Atlantic et se prépare à se réinventer sous le pseudonyme de Swamp Dogg – est immédiatement conquis par la chanteuse pour qui il bâtit un répertoire sur mesure, qu’ils vont enregistrer aux studios Capricorn de Macon. Tant au plan de l’écriture que de la production et, bien entendu, de l’interprétation, le disque est un chef-d’œuvre, qui annonce l’émergence d’une certaine soul sudiste féminine et féministe – celle des Millie Jackson ou Denise LaSalle – mais le résultat peine à convaincre les maisons de disques que démarche Williams, qui en a financé lui-même la réalisation.

C’est le label Canyon, basé à Los Angeles, qui finit par le sortir. Pour l’occasion, la chanteuse est rebaptisée – dans des circonstances qui varient selon les témoignages – Doris Duke, du nom d’une personnalité en vue de la bonne société new-yorkaise, et l’album intitulé “I’m A Loser”. Le premier 45-tours qui en est extrait, To the other woman (I’m the other woman) connaît un certain succès (7e dans le classement R&B et 50e côté Pop), reproduit dans une moindre mesure par son successeur, Feet start walking. La faillite de Canyon met hélas un terme à l’aventure.

Bien que leurs relations aient été fort complexes – Williams fait même passer Sandra Phillips, une autre chanteuse avec qui il travaille, pour Duke à l’occasion de concerts –, Williams signe Doris Duke sur le label qu’il monte pour Nashboro, Mankind, et enregistre avec elle un second album, “A Legend In Her Own Time”. Réussi artistiquement sans atteindre les sommets de son prédécesseur – la faute en partie à une deuxième face composée de reprises –, le nouvel album et les deux 45-tours qui en sont extraits ne permettent pas à Duke de renouer avec le succès. Le contrat suivant avec le label Mainstream est un échec, et seul un 45-tours sans grand intérêt en ressort au lieu de l’album prévu.

C’est en Angleterre, sur le label Contempo de John Abbey, que rebondit la chanteuse avec l’album “Woman”, enregistré sur place avec des musiciens locaux. Le disque est une réussite certaine et connaît même une sortie américaine, sur Scepter, tandis que plusieurs singles en sont extraits. Il marque cependant la fin de la carrière artistique de Doris Duke, en dehors d’un 45-tours paru en 1981 sur l’obscur label Beantown International Records et passé inaperçu.

Si sa musique, constamment rééditée et compilée – trois des quatre volumes des “Deep Soul Treasures” de Dave Godin contiennent un de ses titres –, n’a jamais été oubliée par ses admirateurs, Duke elle-même a résisté à toutes les sollicitations, privilégiant sa vie de famille. La plus grande partie de son œuvre a été compilée par Ace en 2005 sur le CD “I’m A Loser (The Swamp Dogg Sessions… And More)”, tandis que “Woman” a été réédité par Shout! En 2008. 

Texte : Frédéric Adrian
Photo © DR / Collection Gilles Pétard

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