;
Live reports / 28.08.2024

Échos d’Harlem (2024)

Le 20 juin 2024, notre collègue André Hobus s’est baladé dans un Harlem qui a bien changé au fil des années. Impressions.

Si d’aventure – le sens premier ne se justifie plus – vous parcourez Harlem à la hauteur de la 125e rue depuis la station de métro souterraine en direction de l’Apollo, entièrement rénové et pimpant, avec un trottoir transformé en Hall Of Fame, vous pourrez admirer des peintures murales dédiées à l’affirmation de l’identité afro-américaine.

Au sortir du théâtre, nous rencontrons fortuitement une dame âgée, ex-guide musicale à la retraite. Dissertant spontanément sur la relation étroite entre église et rock ’n’ roll au départ de mon observation visuelle d’un portrait de Fats Domino, elle chantonna Blueberry hill en le scandant des mains en guise de démonstration. C’était touchant et j’acquiesçais. Je lui désignai alors un bloc d’immeubles actuels et proches – coin de la 125e rue et de la 8e avenue – qui, il y a 20 ans à peine et alors décatis, abritait encore la Bobby’s Happy House, le disquaire représentatif de Bobby Robinson (1917-2011), célèbre producteur-propriétaire des marques Fire, Fury, Robin, Enjoy et qui avait connu de grands succès avec Wilbert Harrison (Kansas City,1959), des groupes doo-wop, du gospel, (re)lancé les carrières de Gladys Knight & The Pips (avant Motown), Lee Dorsey (Ya Ya), Soul twist (King Curtis) et surtout, pour les bluesfans que nous incarnions, celles d’Elmore James et de Lightnin’ Hopkins. S’en suivit un silence gênant. Autant se souvenait-elle du magasin, autant elle en ignorait l’importance dans son récit mémoriel de la musique afro-américaine générée à Harlem. Duke Ellington, l’Apollo et les grandes heures d’un club comme le Small’s Paradise, oui ; Bob Gaddy, Larry Dale et même Sonny Terry-Brownie McGhee, ces noms n’évoquaient à peu près rien pour elle.

Cela ne m’étonne pas : au contraire de villes comme Chicago, Memphis ou Kansas City, New York ne se penche toujours pas sur ce passé musical spécifique – ne serait-ce que par une plaque commémorative –, lequel est donc tombé dans l’oubli. Seuls des collectionneurs- chercheurs britanniques pour la plupart s’en soucient. Dommage.

La rénovation urbaine de cette aire de Harlem s’est effectuée comme d’habitude à coups de tractopelles et des enseignes récentes s’y sont installées, ne laissant subsister que quelques immeubles massifs en briques rouges surmontés aujourd’hui de grands panneaux électoraux pour des candidat(e)s démocrates aux différentes fonctions électives. Au rez-de-chaussée, quelques magasins fourre-tout au look typique des années 1970 ou répondant encore aux goûts d’origine de ses habitants survivent tant que faire se peut.

Sur notre chemin, un joyeux triptyque mural en forme de constellation valorise d’innombrables personnalités afro-américaines issues des mondes artistique, sportif, politique, religieux progressiste et de l’éducation qui ont marqué l’Histoire des États-Unis. Bien sûr, vous y trouverez – je cite dans le désordre – les Martin Luther King Jr, Rosa Parks, James Brown, Louis Jordan, Duke Ellington, Count Basie, Nina Simone, Billie Holiday, les Jackson Five, les Globe Trotters… mais aussi Josephine Baker et Barack Obama.

La chaleur atteint son pic du jour : direction le Harlem Shake, vénérable maison située au coin de la 124e et Lennox ave, affichant encore sa fonction première : un diner soul food de quartier à vocation sociale (à Chicago, par exemple, ils n’existent plus). Entrons. Même en touristes, vous êtes plongés dans l’historicité du lieu en faux art déco patiné, comptoir encombré de flyers et lustré par des décades de clients, ses tabourets de bar amortis et quelques tables bistrot brinquebalantes en formica écorné. L’employée de service transpire sous son bandana étoilé et beugle ses commandes à la cuisine Un travailleur social vêtu d’un t-shirt “Overdose Prevention” s’y rafraîchit. Des clientes âgées poussent leur déambulateur. Les prix affichés sont imbattables pour New York. Étant largement senior, je n’ai pas osé demander la différence entre un Fly Child et un Swag Kid, n’étant pas spécialement concerné. Aux murs, d’innombrables photos encadrées, parfois dédicacées, de personnalités afro-américaines qui l’ont célébré, avec une exception : le portrait de l’ex-président Bill Clinton, toujours apprécié pour son empathie à leur encontre. Un coin retiré annonce fièrement : « Shaft a mangé ici. » Mais ne rater sous aucun prétexte les toilettes (mixtes) : ses murs sont entièrement recouverts des couvertures du magazine Jet, sorte d’Ebony populo (avec ses pin-ups ’50s en bikinis), tout un symbole de la ségrégation d’État. Je n’en ai jamais vu une telle quantité !

Texte et photos : André Hobus