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Live reports / 06.10.2023

Festival de Jazz New Orleans, Le 360 Paris Music Factory

22 au 24 septembre 2023.

Après la luxueuse programmation qui accompagnait l’an passé la fort décevante exposition consacrée aux Mardi Gras Indians au musée du Quai Branly, c’est au tour du 360 Paris Music Factory, une salle de spectacle à la programmation internationale située au cœur du quartier de la Goutte d’Or de proposer au public parisien un week-end à La Nouvelle-Orléans.

Autant musical que gastronomique, le programme, soutenu par différentes institutions dont l’office du tourisme de la ville et le New Orleans Jazz Museum (dont le directeur est présent chaque soir), est copieux : film, masterclass, brunch, parade de rue… Et aussi trois concerts, le vendredi et le samedi soir ainsi que le dimanche après-midi, dans un format singulier : un orchestre de base français – l’excellent NOLA French Connection, sans doute un des meilleurs brass bands du pays, habitué des scènes et des rues parisiennes et responsable d’un excellent album en 2018 – renforcé pour chaque concert d’un invité venu directement de La Nouvelle-Orléans.

Le premier soir, c’est la percussionniste – caisse claire et cymbales – Christie Jourdain, membre des Pinettes, la première fanfare entièrement féminine, depuis les débuts (avec quelques années de pause) et désormais patronne de l’ensemble, qui s’installe avec la NOLA French Connection. Comme les autres artistes invités, elle n’est arrivée que la veille, et le temps de répétition a donc été limité. Cela peut faire craindre un instant un recours excessif aux standards les plus familiers de la Crescent City. Mais le groupe et son leader Hippolyte Fèvre ne manquent ni de culture ni de pratique, et c’est un répertoire tout à fait original, qui emprunte même à l’album du NOLA French Connection le temps du We’re bout to party d’ouverture, qui est proposé avec des classiques du genre comme Here we go et Feelin’ free issus du songbook du Rebirth Brass Band ou le 504 (Enjoy Yourself) des Soul Rebels et quelques pas de côtés comme un Just the two of us – mais oui, le tube de Grover Washington, Jr. chanté par Bill Withers – brut de décoffrage ou une citation de Nirvana bien intégrée. Au fond de la scène, Jourdain assure avec discrétion son rôle rythmique, laissant les solistes du groupe prendre l’avant-scène tout en propulsant l’ensemble. Le tromboniste George Brown, programmé le lendemain, rejoint la scène pour un final très réussi qui présage bien de la suite des opérations…

Christie Jourdain © Fatima Zahrae Mammade

Sans doute le moins connu des trois invités, même s’il lui est arrivé de tourner en Europe avec le Hot 8 Brass Band, George Brown n’en est pas moins un habitué des scènes de La Nouvelle-Orléans, assurant en particulier avec son groupe une résidence hebdomadaire au Blue Nile sur Frenchmen Street. Là où Christie Jourdain s’était fondue dans le NOLA French Connection, Brown s’empare naturellement de la position de leader, dirigeant l’ensemble du geste, du regard et même du trombone, quand il souffle aux trompettes leur ligne. Les musiciens suivent sans difficulté. Chanteur limité mais à la voix racinienne, Brown ouvre la soirée avec le E flat blues du Hot 8 Brass Band et ses paroles dans la lignée des classiques du genre (« I got a big fat woman / Love me all night long (But don’t tell nobody) ») qui réjouit un public chauffé à blanc dès le début du show et que le Can’t nobody get down, également emprunté au Hot 8, fait encore monter en température avant un medley funk musclé qui associe le Smiling faces sometimes d’Undisputed Truth au Talkin’ loud and sayin’ nothing de James Brown.

George Brown © Fatima Zahrae Mammade

Homme de spectacle, George Brown fait bouger toute la salle grâce à ses consignes – « two steps to the right, two steps to the left, get down… » – adaptées même au plus empoté des danseurs, et l’ambiance n’a pas grand-chose à envier aux meilleurs clubs de La Nouvelle-Orléans ! La chaleur prend encore quelques degrés quand James Andrews, attendu le lendemain, rejoint la scène pour un long medley dynamique combinant deux de ses compositions, Who dat called da police, enregistrée avec le New Birth Brass Band, et Gimme my money back, popularisée par le Treme Brass Band. C’est Blackbird special, le classique du Dirty Dozen Brass Band, qui vient finir en beauté la soirée. 

Gabriel Levasseur, Hippolyte Fèvre, James Andrews, George Brown, François Morin,

Sans surprise, l’ambiance est plus familiale le dimanche après-midi pour accueillir James Andrews. Des trois invités du week-end, c’est celui qui est le plus habitué des scènes françaises, où il se produit régulièrement, souvent (mais pas seulement) dans des contextes jazz. Actif sur la scène de La Nouvelle-Orléans depuis le début des années 1990, le frère aîné de Trombone Shorty (et petit-fils de Jesse Hill) a fait partie de plusieurs des principaux brass bands de la ville, dont le Treme Brass Band et le Junior Olympia Brass Band avant de fonder le sien, le New Birth Brass Band, enregistré avec l’aristocratie des musiciens de la ville (Allen Toussaint, Dr. John, John Boutté, Kermit Ruffins…) et mène depuis plusieurs années une carrière personnelle – son premier album sous son nom, “Satchmo Of The Ghetto”, est sorti en 1998 sur le label d’Allen Toussaint, produit par celui-ci avec Dr. John au piano… 

C’est avec la chanson de la série Treme, devenue un classique de la ville, que James Andrews (qui apparaissait dans trois épisodes) ouvre son show. Dès le début, George Brown est à ses côtés en renfort du NOLA French Connection, et la complicité entre les deux musiciens est évidente. Côté répertoire, les standards sont présents en force – Mardi Gras in New Orleans, Big Chief, Saint James Infirmary, I’ll fly away et même, en rappel (alors que je pensais y avoir échappé), When the saints –, mais tous sont bien joués et une large partie du public se réjouit de les entendre, même si, pour mon goût, il abuse un peu des appels à la participation des spectateurs.

Gabriel Levasseur, Hippolyte Fèvre, James Andrews © Fatima Zahrae Mammade

De mon côté, ce sont des titres un peu moins évidents que j’apprécie le plus, comme la Bourbon Street parade de Paul Barbarin enregistré par Andrews avec le futur Trombone Shorty sur leur album commun “12 & Shorty” en 2004, ou son propre Spread your legs, enregistré sur l’album “D-Boy” du New Birth Brass Band et dont il rappelle qu’il apparaissait sur la bande originale du film Crossroads dans lequel jouait la Louisianaise d’adoption Britney Spears ! Andrews salue aussi la mémoire de son grand-père avec une version chaotique mais réjouissante de l’éternel Ooh poo pah dooh. Le grand moment du concert vient quand Christie Jourdain rejoint la scène, armée de sa caisse claire. Andrews s’empare alors d’une cowbell, Brown d’un tambourin, et offrent, alors que les différents cuivres se taisent, un superbe break rappelant la part jouée par les percussions dans le son familier de la Nouvelle-Orléans. C’est dans la salle, entourée d’un public qui ne se fait pas prier pour danser – même les ados ! – que se termine le concert, avant que la troupe ne se dirige, tout en continuant à jouer vers le restaurant du lieu où se poursuivent les festivités. 

Si ce sont évidemment les invités néo-orléanais qui étaient l’attraction principale de l’évènement, il faut souligner que sa réussite tient particulièrement au rôle joué par NOLA French Connection, qui a assuré brillamment le rôle d’orchestre maison les trois soirs, avec un répertoire intégralement différent et sans facilités à chaque fois et en s’adaptant, y compris sur le moment, aux demandes de leurs leaders d’un soir. Même s’il n’a pas enregistré récemment, le groupe se produit régulièrement, essentiellement en région parisienne, et mérite d’être entendu pour ses propres forces.

Juste avant le dernier concert, le directeur du lieu a mentionné le projet d’une nouvelle édition l’année prochaine. Inutile de dire, si c’est le cas, que nous serons à nouveau au rendez-vous ! 

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture : George Brown, James Andrews © Zoé Casas

© Fatima Zahrae Mammade
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