Cherise, Pop-Up du Label, Paris, 2024
09.12.2024
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24 mars 2023.
En raison de la concurrence, le même soir, du concert de Benoît Blue Boy parrainé par Soul Bag, et peut-être aussi du match de l’équipe de France, c’est un public restreint – quelques dizaines de personnes – qui attend les artistes, mais il compense par son enthousiasme sa relative faiblesse numérique.
Conformément à sa vocation de lieu culturel de proximité, c’est à des artistes issus de la scène locale que la salle a confié les deux premières parties, avec tout d’abord la rappeuse Folie Douce, accompagnée de son DJ. Si sa musique est assez éloignée des centres d’intérêt de Soul Bag, elle ne manque ni de prestance ni d’engagement et réussit à faire monter la température dans la salle.
Les Principles of Joy, qui lui succèdent très rapidement, n’ont aucun de mal à capitaliser sur l’ambiance déjà bien établie et à faire gagner encore quelques degrés au public. Membre de l’écurie Q-Sounds, le groupe, qui a déjà publié deux albums, joue à domicile – le dernier disque ne s’appelle pas par hasard “9-3” – et n’a aucune difficulté à faire danser la foule sur sa soul pop accrocheuse, sous influence northern, avec des titres originaux en anglais comme Selfish boy et Start from scratch. Si la chanteuse semble un peu en retrait sur les premiers titres, elle ne tarde à prendre le contrôle de la situation et à monter en puissance, et les trois quarts d’heure du show passent très rapidement – au point que le public aurait bien aimé un rappel que les contraintes de timing interdisent.
Les Harlem Gospel Travelers ont fait le choix original et pertinent d’une tournée à impact carbone réduit : plutôt que le classique tour bus, c’est en train que se déplacent le groupe et son équipe, qui subissent donc, en cette période de troubles sociaux, les conséquences de la politique gouvernementale. C’est ainsi que le groupe, qui vient d’Orléans où il se produisait la veille, n’arrive qu’en dernière minute à la salle et doit faire la balance – en utilisant en partie le matériel des Principles of Joy, pour accélérer l’ensemble ! – en quelques minutes et devant le public.
Malgré leur jeunesse relative, l’ensemble des musiciens – Kyle Lacy à la guitare, Ari Folman-Cohen à la basse, Chauncey Yearwood (entendu avec Durand Jones & The Indications, le High & Mighty Brass Band, Pimps of Joytime et Eli Paperboy Reed notamment) à la batterie et Alejandro Heredia Gómez aux claviers – sont des professionnels aguerris et ils s’acquittent de la tâche rapidement. Le temps de quelques notes instrumentales d’introduction et les trois membres des Harlem Gospel Travelers – les deux fondateurs George Marage et Thomas Gatling et Dennis Keith Bailey III qui les a rejoints pour le dernier album – déboulent sur scène pour une bonne heure et quart de show emmené sur un rythme qu’il est tentant de qualifier d’endiablé !
Surprise : ce n’est pas sur un de leurs titres qu’arrive le groupe, mais sur le We don’t love enough des Triumphs (qui apparaissait il y a quelques années sur l’excellente compilation Luaka Bop “The Time For Peace”). Thomas Gatling assure le chant principal sur ce morceau d’ouverture, mais les trois voix (occasionnellement renforcées par celles de Kyle Lacy et Chauncey Yearwood pour les chœurs) se partagent les parties leads sur l’ensemble des titres, qui mêlent compositions originales issues pour la plupart de l’album “Look Up!” et reprises. Pas de Oh happy day ou de When the saints au programme cependant. Sans doute sous l’influence de leur mentor Eli Paperboy Reed, grand connaisseur du genre, c’est dans les trésors du gospel indépendant des années 1960 et 1970 que le groupe a été fouiller, et c’est là qu’il a trouvé des perles méconnues comme le Get involved de Jonah Thompson ou le How can I lose de Shirley Ann Lee, auxquelles s’ajoutent des classiques comme leur version de Do you know the man, récemment parue en face B d’un single, ou Lord don’t move the mountain.
Le répertoire propre du groupe ne souffre absolument pas de la comparaison avec les emprunts, et une chanson comme Fight on, qui s’enchaîne comme sur le disque avec Hold your head up, n’a rien à envier aux grandes compositions du genre, d’autant qu’elle est parfaitement interprétée par un groupe à la présence scénique impeccable et à la ferveur communicative. Si les harmonies vocales sont taillées au cordeau, elles s’accompagnent en effet de chorégraphies extrêmement efficaces, inspirées des grands groupes Motown, qui déclenchent régulièrement des cris de joie dans le public.
Commencé par George Marage seul avec l’accompagnement de l’orgue, God will take care of you monte progressivement en puissance quand les musiciens et les autres chanteurs rejoignent le morceau, tandis que Lord don’t move the mountain se teinte d’une couleur blues bienvenue, jusque dans le solo magistral de l’organiste. Étrangement, c’est sur le Satisfaction des Stones que le trio clôt (théoriquement !) le concert, avant de revenir pour un rappel de trois titres (dont le Love train des O’Jays, tout à fait à sa place dans ce contexte) qui se termine par une version à rallonge de He’s on time, seul titre du premier album au programme, un peu délayé par des solos instrumentaux pas indispensables, mais que conclut un George Marage en transe, plongé au cœur du public.
Spectateurs comme artistes sont épuisés mais heureux à l’issue du concert – et le fait que le dernier album du groupe soit sold out au stand de merch à la sortie semble indiquer que le succès était déjà là lors des étapes précédentes de la tournée. Le groupe reviendra sur les scènes françaises à l’occasion de quelques festivals cet été, et son triomphe dans ce cadre est d’ores et déjà prévisible… Au vu de la rareté des visites d’artistes gospel par ici, c’est une vraie “good news” !
Texte : Frédéric Adrian
Photos © Miss Béa