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Hommages / 23.07.2024

Ils nous quittent : Duke Fakir, Bernice Johnson Reagon, Gary Grant, Jerline Shelton, James “Bubba” Norwood, Big Ron Hunter…

Duke Fakir (1935-2024)

Sa vie se confondait avec l’histoire du groupe qu’il avait cofondé, et c’est quelques jours à peine après avoir annoncé sa retraite des Four Tops que Duke Fakir, membre du groupe depuis plus de soixante-dix ans, s’est éteint. 

Abdul Kareem Fakir naît le 26 décembre 1935 à Détroit d’un père originaire du Bangladesh et d’une mère afro-américaine. C’est à l’adolescence qu’il fait connaissance, à l’occasion d’un match de football entre voisins, d’un certain Levi Stubbs, qu’il ne découvre chanteur que quelque temps plus tard. Rejoints par deux autres jeunes chanteurs, Renaldo Benson et Lawrence Payton, ils forment un groupe vocal qu’ils baptisent les  Four Aims, début d’une association qui durera, sans aucun changement, jusqu’en 1997, date du décès de Payton.

Si le groupe, rebaptisé les Four Tops en 1956 pour éviter la confusion avec les Ames Brothers, n’a aucune difficulté à enregistrer avec une certaine régularité pour Grady, Chess, Columbia et Riverside, le succès discographique ne vient pas, et c’est sur scène, en particulier dans les cabarets, que le groupe se fait remarquer. C’est d’ailleurs dans ce registre que le groupe commence à enregistrer une série de standards de jazz et de grande variété après avoir signé en 1963 avec Berry Gordy, pour un album prévu sur le label secondaire Jazz Workshop. Le projet (qui sera finalement publié en 1999) reste inédit quand le groupe, qui a commencé à participer aux séances d’autres artistes comme les Supremes ou Martha and the Vandellas, décroche un  tube dès 1964 sous la houlette de Holland–Dozier–Holland avec Baby I need your loving

Ce succès n’est que le premier d’une longue série qui se poursuit, avec des hauts et des bas, pendant près de 25 ans, le groupe classant un dernier titre, Loco in Acapulco, dans le hit-parade R&B en 1988. S’il est présent sur chacun des disques du groupe, de I can’t help myself (Sugar pie honey bunch) à When she was my girl, en passant par Reach out I’ll be there ou Ain’t no woman (Like the one I’ve got), Duke Fakir – un surnom adopté pour contourner le racisme ambiant – n’en est jamais le chanteur principal, ce rôle étant réservé à Levi Stubbs, mais sa voix de ténor est un élément fondamental des harmonies qui font leur réputation.

Quand le succès discographique s’amoindrit – après plus de 25 ans, quand même ! –, le groupe se taille une réputation de choix sur le circuit de la nostalgie, partageant souvent l’affiche avec leurs anciens collègues de label, les Temptations. Les problèmes de santé de Levi Stubbs et les décès de ses trois partenaires font de Fakir le “dernier homme debout” du groupe et le gardien de son héritage, qu’il incarne sur scène jusqu’à la fin, se produisant en particulier à Paris à l’Olympia en octobre 2022. 

Lawrence Payton, Levi Stubbs, Renaldo Benson, Duke Fakir © DR / Collection Gilles Pétard

Bernice Johnson Reagon (1942-2024)

Artiste, militante et historienne, tout au long de son parcours Bernice Johnson Reagon a refusé de choisir une carrière unique, préférant mettre l’ensemble de ses talents au service du combat pour les droits civiques.

Originaire de Dougherty County, un comté rural de Géorgie, Bernice Johnson découvre le chant a capella dans l’église paternelle. Scolarisée à l’université d’Albany, elle s’y implique dans le militantisme aux côtés de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) puis du SNCC (Student Nonviolent Coordinating Committee) et finit même par être renvoyée de son université suite à une arrestation dans ce cadre. En 1962, elle est un des membres fondateurs des Freedom Singers, créés par un cadre du SNCC, Cordell Reagon, qu’elle épouse, participant à de nombreuses manifestations avec le groupe et apparaissant sur ses disques. En 1965, elle fait ses débuts de chanteuse soliste avec un album sur Folkways, “Folk Songs: The South”, suivi par un deuxième disque, “The Sound Of Thunder”, deux ans plus tard, puis par une collaboration avec Pete Seeger, “Now”, avec également le révérend Frederick Douglass Kirkpatrick. 

Au milieu des années 1970, elle monte son propre ensemble vocal, Sweet Honey In The Rock, qui publie un premier album en 1976 et devient un des groupes vocaux majeurs de la scène afro-américaine, mêlant musique et militantisme et bénéficiant d’une large reconnaissance tant publique qu’institutionnelle. L’histoire de l’ensemble fait l’objet d’un livre, We Who Believe In Freedom – Sweet Honey In The Rock: Still on the Journey, et d’un documentaire, Sweet Honey in the Rock: Raise Your Voice. Bien qu’elle ait quitté formellement le groupe dans les années 2000, celui-ci poursuit son activité aujourd’hui encore. Outre Sweet Honey In The Rock, ses chansons ont été enregistrées par Billy Bragg, Lizz Wright, Terri Lyne Carrington et Ton Jones.

Elle s’engage à la même époque dans un parcours universitaire, en tant qu’historienne spécialisée dans la musique afro-américaine au sein de la  Smithsonian Institution, travaillant notamment pour le National Museum of American History. Elle collabora à différents documentaires dont la série Eyes on the Prize: America’s Civil Rights Movement et le projet de Ken Burns sur la guerre civile. Son travail universitaire fait l’objet de plusieurs recueils dont If You Don’t Go, Don’t Hinder Me: The African American Sacred Song Tradition et We’ll Understand It Better By And By: Pioneering African American Gospel Composers. Sa fille Toshi Reagon mène également une carrière de chanteuse.

Gary Grant (19??-2024)

Totalement inconnu du grand public malgré quelques rares disques sous son nom (dont l’album “Don’t Hold Your Breath” en 2010), le trompettiste Gary Grant a fait partie à partir de l’élite des musiciens de studio à partir des années 1970, au point d’être l’auteur d’un très amusant Studio Musician’s Manual For a Long & Productive Career en 75 points.

Après des études à la North Texas State University et deux années de tournées avec l’orchestre de Woody Herman, il s’installe à Los Angeles en 1975 et se rend vite indispensable dans les studios locaux, souvent en partenariat avec Jerry Hey. Musicien tout terrain, il s’exprime dans tous les genres, du jazz à la pop en passant par les musiques de film – c’est sa trompette solo qu’on entend par exemple sur le thème du film Bodyguard. Omniprésent tout au long des années 1970 et 1980 – il est présent sur “Off The Wall”, “Thriller” et “Bad”, par exemple –, il poursuit sa carrière ensuite sur un rythme plus raisonnable. Parmi les artistes avec lesquels il a enregistré figurent les Blackbyrds, Patti LaBelle, Gladys Knight, Rufus, Donna Summer, B.B. King, Lenny Williams, les Brothers Johnson, Chaka Khan, Earth Wind & Fire, Randy Crawford, Lionel Richie,  Dionne Warwick, Al Jarreau…

James “Bubba” Norwood (1942-2024)

Originaire de Caroline du Nord, le batteur James Norwood n’a pas encore 18 ans quand il est recruté au sein de l’orchestre d’Ike et Tina Turner, avec lequel il tourne pendant huit ans, se produisant aussi bien dans les salles du chitlin’ circuit qu’à l’Apollo et accompagnant régulièrement d’autres vedettes du circuit soul, de Little Richard à Marvin Gaye en passant par Archie Bell & the Drells, Curtis Mayfield & the Impressions et Major Lance.

S’il est difficile d’identifier les disques du duo sur lesquels il joue, il apparaît avec eux dans le film de concert de 1965 The Big TNT Show. Il quitte l’ensemble à la fin des années 1960 et rejoint, avec d’autres anciens accompagnateurs des Turner, Sam & The Goodtimers, un groupe qui se produit dans les clubs de Los Angeles et des environs, avec lequel il participe notamment à une tournée avec les Monkees ! Dans les années 1980, il s’installe à Saint-Louis, intégrant le groupe du guitariste Herb Sadler – un autre ancien de l’orchestre d’Ike & Tina Turner – et tournant avec Albert King, puis revient en Caroline du Nord pour des raisons familiales, jouant avec différents artistes locaux. C’est là qu’il fait connaissance avec Tim Duffy et avec la fondation Music Maker, dont il devient un des musiciens réguliers à l’occasion des concerts locaux jusqu’à ce que sa santé lui impose de réduire ses activités.

Jerline Shelton (1948-2024)

Chanteuse, productrice, arrangeuse, autrice : de la fin des années 1960 au milieu des années 1980, Jerline Shelton a été une présence discrète mais constante sur la scène soul et funk de Chicago. Avec sa sœur jumelle, improbablement nommée Sherline Shelton, elle forme un duo, les Honey-Duo-Twins, qui accompagne McKinley Mitchell le temps d’un single Chess et publie un 45-tours sur Yambo Records, le label de Willie Dixon, Les deux sœurs enregistrent ensuite quelques singles sous le nom de Jerline & Friends puis intègrent  le groupe Royal Flush, qui sort un album en 1980. Entre-temps, Shelton s’est imposée comme autrice et arrangeuse (pour les Lovelites, Linda Clifford, Heaven And Earth, les Imaginations, Willie Clayton, les Steelers.…) et comme productrice (le petit classique Let’s work it out de Next Movement),  Une compilation de Jerline And Friends, “Best Of Friends”, est sortie en CD en 2007. 

Big Ron Hunter (1953-2024)

Le site de Music Maker le présente comme « le bluesman le plus heureux du monde »… Né à Winston-Salem en Caroline du Nord, Ron Hunter apprend la guitare et le chant de son père, mais se contente de jouer pour ses amis jusqu’à sa rencontre au milieu des années 1980 avec Guitar Gabriel, avec qui il se produit régulièrement et qui le met en contact au début des années 2000 avec la fondation Music Maker. Avec l’appui de celle-ci, il publie un premier album sur le label local Rock House en 2006 puis un second directement pour le label de la fondation en 2009. En 2015, il apparaît sur le projet “Music Is My Home” du saxophoniste Raphaël Imbert, avec qui il tourne à plusieurs reprises en France.

Arthur Ponder (1946-2024)

Figure de la scène musicale de Macon dès les années 1960, le chanteur Arthur “Bo” Ponder se fait remarquer du public local quand il remplace Otis Redding au sein des Pinetoppers de Johnny Jenkins. Il doit cependant attendre 1970 pour faire ses débuts discographiques avec un single sur Capricorn. S’il enregistre ponctuellement dans les années suivantes et jusqu’à la fin des années 1980, notamment en tant que chanteur du groupe Sideshow, sa carrière ne dépasse pas les limites de Macon, où il se produisait encore régulièrement il y a quelques mois. Une anthologie de ses enregistrements, créditée à Arthur Ponder & The Sideshow Band, est sortie en LP en 2022. 

Cleave Graham (1928-2024)

Originaire de Houston, dans le Mississippi, Cleave Graham était le dernier membre original survivant des Pilgrim Jubilees. Formé au milieu des années 1940 dans le Mississippi, l’ensemble prend réellement son envol après l’installation de la famille Graham à Chicago, où il enregistre son premier disque pour Chance Records. C’est cependant sur Nashboro que la carrière du groupe décolle réellement à la fin des années 1950, avant que le groupe, dont Cleave Graham est régulièrement le chanteur principal, ne signe en 1959 avec Peacock, où il restera jusqu’en 1975. Il retourne brièvement sur Nashboro puis passe sur Savoy et, à la fin des années 1980, sur Malaco, où il enregistre régulièrement jusqu’à la fin des années 2000. Cleave Graham se produisait encore régulièrement avec le groupe il y a quelques mois.

Tom Fowler (1951-2024)

Essentiellement connu pour sa participation aux projets de Frank Zappa, le bassiste originaire de Salt Lake City a aussi enregistré avec George Duke et fait partie de l’orchestre de Ray Charles à partir des années 1990. C’est lui qui est à la basse lors du fameux concert avec un trio à l’Olympia en 2000 et il apparaît sur l’album “Genius Loves Company”. 

Jim Rotondi (1962-2024)

Originaire du Montana mais installé depuis plusieurs années en Europe, le trompettiste Jim Rotondi avait enregistré notamment avec Charles Earland et Irene Reid et intégré l’ensemble de Ray Charles, à qui il dédie un album en 2009.

Courtney Girlie (1977-2024)

Originaire de Floride, le batteur Courtney Girlie avait fait ses débuts professionnels avec une version des Ohio Players emmenée par Sugarfoot Bonner avant de travailler avec différents artistes, dont Selwyn Birchwood, avec qui il avait enregistré et tourné, notamment en France. 

Michael A. Brooks (1961-2024)

Membre original du groupe de gospel contemporain Commissioned, le clavier et producteur Michael A. Brooks participe aux albums du groupe jusqu’au début des années 1990 et collabore également aux enregistrements d’autres artistes, parmi lesquels Vanessa Williams et Witness.

Genetter Bradley (1942-2024)

Figure majeure de la scène gospel de Kansas City, Genetter Bradley fait ses débuts dès ses trois ans au sein d’un groupe constitué de ses trois sœurs, les McCluney Sisters. À la fin des années 1950, elle intègre les Kansas City Melody-Aires de Mildred Clark, avec qui elle se produit à l’Apollo et enregistre pour Simco et Peacock. Elle monte ensuite son propre ensemble, Genetter Bradley And The Bradley Singers, qui publie un album, “Right Direction”, sur Spire Records. Très impliquée dans la scène gospel locale, elle dirige le The Kansas City Gospel Music Seminar, qui publie en 1985 un album, “Behold The City United As One”.

Henry Carvajal (19??-2024)

Originaire d’Équateur, le guitariste Henry Carvajal se fait remarquer au début des années 1990 sur la scène californienne, enregistrant notamment sur quelques titres de l’album “Groove Time” de William Clarke, avec San Pedro Slim et avec Rick Holmstrom. Au début des années 2000, il intègre les Mighty Flyers de Rod Piazza, avec lesquels il enregistre plusieurs albums, de “Keepin’ It Real” en 2004 à “Emergency Situation”, le dernier album en date du groupe qui remonte déjà à 2014. Il tourne également régulièrement avec l’ensemble, ainsi qu’avec celui de San Pedro Slim, apparaissant notamment au Blues Station de Tournon de 2011 et au Spring Blues d’Écaussinnes en 2013. 

Papa John DeFrancesco (1940-2024)

Trompettiste de formation, John DeFrancesco passe à l’orgue dans le courant des années 1960 et se fait une place au sein de la scène jazz de Philadelphie. Il met cependant sa carrière personnelle entre parenthèses dans les années 1970 pour soutenir celle de son fils Joey, également organiste, qui devient une des vedettes de l’instrument dans la décennie suivante, travaillant même avec Miles Davis. Il relance ensuite sa propre carrière, enregistrant à partir de 1993 et jusqu’en 2011 une série d’albums dans un registre hard-bop pour Muse, HighNote et Savant.

Cleave Graham (1928-2024)

Originaire de Houston, dans le Mississippi, Cleave Graham était le dernier membre original survivant des Pilgrim Jubilees. Formé au milieu des années 1940 dans le Mississippi, l’ensemble prend réellement son envol après l’installation de la famille Graham à Chicago, où il enregistre son premier disque pour Chance Records. C’est cependant sur Nashboro que la carrière du groupe décolle réellement à la fin des années 1950, avant que le groupe, dont Cleave Graham est régulièrement le chanteur principal, ne signe en 1959 avec Peacock, où il restera jusqu’en 1975. Il retourne brièvement sur Nashboro puis passe sur Savoy et, à la fin des années 1980, sur Malaco, où il enregistre régulièrement jusqu’à la fin des années 2000. Cleave Graham se produisait encore régulièrement avec le groupe il y a quelques mois.

Kurt Bislin (1958-2024)

Figure de la scène blues suisse, le chanteur, guitariste, harmoniciste et batteur Kurt Bislin a été membre de plusieurs groupes dont les Raindogs et  les Second Cousins et a longtemps accompagné sur disque et sur scène le guitariste Larry Burton.

Cedric Napoleon (19??-2024)

Membre fondateur du groupe jazz fusion Pieces Of A Dream au milieu des années 1970, le bassiste et chanteur Cedric Napoleon participe à ses activités jusqu’en 2001, contribuant notamment aux succès R&B de titres comme Warm weather et Fo-Fi-Fo. Il prête également sa voix à un titre de Grover Washington, Jr., I’ll be with you.

Textes : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture : The Four Tops © Motown Records

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