Fantastic Negrito, Son Of A Broken Man
13.12.2024
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Le titre s’exclame et insiste, les chansons portent des (pré)noms d’artistes. Le tout en majuscules. La volonté de s’inscrire dans un héritage est on ne peut plus claire, mais ne comptez pas sur Jamila Woods pour verser dans le cours d’histoire ou l’hommage révérencieux. Si elle en appelle à Zora Neale Hurston, Nikki Giovanni, Eartha Kitt, Frida Kahlo, Sun Ra ou James Baldwin, c’est pour propulser sa vision à elle, d’humaine, de femme noire, de chanteuse, poète, songwriter qui nourrit l’union fructueuse de la soul et du hip-hop. Son phrasé un brin détaché et son timbre acidulé la rapprochent d’une Erykah Badu, son excellent “Heavn” (2017, cf. SB 229) l’a mise en évidence sur la belle liste des jeunes talents de Chicago.
Aujourd’hui, Jamila Woods livre un album dense, dur, moins facile d’accès, dont la cohérence révèle au fil des écoutes une grande force de caractère. « I am not your typical girl », Jamila ne plaisante pas. Richesse du verbe et découpage affûté de syllabes en bandoulière, elle s’emploie à déjouer les attentes : à une certaine nonchalance vocale doublée de mélodies gorgées d’insouciance répondent ainsi des textes de combat qui puisent leur sève dans une résilience ancestrale et une féminité plurielle. Le tout habillé de prods musclées mais inspirées, quasi toutes l’œuvre de Slot-A. En mêlant grammaires hip-hop et electro, ce producteur-DJ chicagoan taille de copieuses pièces de groove qui n’oublient pas le funk, à l’image de ces basses vrombissantes et de cette panoplie de trouvailles rythmiques. Peter Cottontale habille un EARTHA aux rebonds lumineux et les autres amis impliqués sont brillants : Nitty Scott et Saba servent des raps haletants (mention spéciale aux virages funkde l’intense BASQUIAT), Nico Segal imprime la partition de cuivres et pousse ainsi Jamila en terrain soul gospel (BALDWIN). Une prise de parole sensible, sensée, secouante.
Nicolas Teurnier
Note : ★★★★½
Label : Jagjaguwar / PIAS
Sortie : 10 mai 2019