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Live reports / 22.07.2019

Jazz à Sète 2019 (Part. 1)

16 juillet 2019.

« Allons enfants de la batterie, le jour de gloire est arrivé. » Même avec un peu de retard sur le calendrier, la 24e édition de Jazz à Sète reprend l’hymne national à son compte dans une version nettement plus rythmée. Au programme : Makaya McCraven et Louis Cole, deux des batteurs les plus doués de leur génération. Retour sur cette opposition de style(s) entre swing et groove.

Il se définit lui-même comme un “beat scientist”. Comprenez par-là un chercheur toujours en quête du rythme parfait. Celui capable de transcender un thème pour mieux l’emmener ailleurs. Où ? Seul Makaya McCraven le sait. Arrangeur minutieux et brillant compositeur, le batteur américain de 35 ans a pris fait et cause pour l’inattendu, découpant sur ordinateur les séquences qu’il enregistre lui-même derrière les toms. De l’auto-sample en quelque sorte. Une marotte née de sa passion pour le hip-hop qu’il applique aujourd’hui au jazz et ses nombreuses ramifications. Jamais là où on l’attend, le musicien né à Paris, élevé en Nouvelle-Angleterre et désormais enfant chéri de la scène de Chicago, met d’ailleurs un point d’honneur à faire de ses prestations live des performances uniques. Reste qu’à l’exception de covers plutôt inspirées comme l’emprunt There comes a time fait à Tony Williams, la tracklist déroulée à Sète a largement tourné autour des pistes de “In The Moment” et surtout “Universal Beings”. Un disque-somme enregistré l’an passé entre New York, Chicago, Londres et Los Angeles, et qui appuyait selon les critiques les plus avisés une certaine idée du renouveau. 

La ficelle est pourtant grosse. À chaque fois le même processus : dérouler un thème, tantôt fuyant, tantôt feutré, avant de déconstruire le tout. Sans ménagement. Une dualité qui s’applique parfaitement au jeu de McCraven, dont le touché léger comme ces caresses offertes à sa cymbale ride – qu’il ne déserte qu’à contrecœur – contrebalance ardemment avec la violence de sa frappe, souvent trop rapide pour être disséquée par un œil humain normalement constitué. Là une main gauche sur le cercle qui appelle une clave, ici un coup de boutoir asséné dans une grosse caisse à la peau bien tendue, comme prête à exploser. Une partition jouée quasiment en apnée à côté de musiciens-spectateurs trop sagement alignés, faisant du technicien Makaya McCraven le seul véritable point d’intérêt stylistique d’un répertoire qui demande encore à s’émanciper de ses pères fondateurs, entre hard bop et spiritual jazz, pour mieux s’ancrer dans la modernité qu’il entend revendiquer.

Line-up : Makaya McCraven (batterie), Greg Spero (piano, claviers), Irvin Pierce (saxophone), Matt Gold (guitare), Junius Paul (basse).

« Si je garde mes lunettes, c’est parce que je suis un peu nerveux. » Ou peut-être Louis Cole avait-il peur d’être ébloui par l’éclipse de lune qui pointait dans son dos ce soir-là ? Difficile pourtant de faire de l’ombre au talentueux Californien et son look, il faut bien le dire, totalement improbable : pantalon ultra-serré aux couleurs d’une marque de chips (Cheetos Crunchy pour les fans) et t-shirt sponso d’une chaîne de restauration spécialisée dans les gaufres. Qui d’autre que ce grand échalas au teint blême peut se permettre de tels écarts vestimentaires ? L’audace, c’est l’atout-charme numéro un d’un artiste devenu l’idole de la génération Youtube à coups de vidéos faites maison dans lesquelles il se filme et se dédouble derrière une batterie ou un clavier, instruments qu’il maîtrise à la perfection. Pas besoin d’artifice sur scène : après quelques notes de synth bass qu’il boucle et loope sur son Mac, Louis Cole file baguettes à la main martyriser ses toms, déroulant à la vitesse de la lumière le catalogue entier des rudiments appris par tout bon batteur. Thinkin’, F it up par deux fois (en ouverture et en rappel), My Buick, When you’re ugly : les morceaux les plus iconiques sont là, parfois enchaînés d’une traite quand le tempo – qui a du mal à être maintenu par endroit – le permet (Bank account/Doing the things). De belles tranches de pop nappées d’un sirop d’électro-funk des plus rassasiant. 

Contrairement à son dernier passage à Paris où sa prestation au Badaboum avait laissé une moitié de salle sur sa faim, l’homme-machine n’est pas venu seul à Sète. C’est accompagné d’un big band en combinaison “skeleton” que Louis Cole a fait chavirer le Théâtre de la Mer, dirigeant au doigt et à la voix – plutôt en forme – sa section de six cuivres et ses musiciens pour offrir des versions somme toute assez semblables à celles de son récent EP “Live Sesh”. Quelques surprises, certaines réjouissantes (le thème d’Happy birthday repris en mode chorale), d’autres un peu moins (l’absence de Sam Wilkes à la basse) ont d’ailleurs nuancé un show spectaculaire qui aurait pu tourner à la perfection, histoire d’emporter la totalité du public, clairement divisé en deux camps. À l’image : fosse pleine à ras bord contre gradins à moitié vides. Pas de quoi perturber le maître des lieux. Méticuleux (il n’hésite pas à déclencher le timbre de sa caisse claire pour éviter les vibrations parasites sur l’intro de Night), et soucieux du moindre détail (pas question de laisser à d’autres le soin de démonter son matériel une fois le concert terminé), Louis Cole apparaît au final comme le chef d’orchestre de sa propre fantaisie musicale où le hasard n’a pas vraiment sa place. 

Line-up : Louis Cole (batterie, chant), Petter Olofsson (basse), Paul Cornish (clavier), Henry Solomon (sax baryton), Vikram Devasthali (trombone), Zach Ramacier (trompette), Shai Golan (sax alto), Doug Mosher (sax ténor), Rob Sheppard (flûte), Genevieve Artadi, Chiquita (chant).

Texte : Mathieu Bellisario
Photos © Frédéric David

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