Ezra Collective, Olympia, Paris, 2024
12.11.2024
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Soleil de plomb et chaleur écrasante s’invitent à Vienne ce lundi, alors rien de tel que le jardin archéologique de Cybèle, oasis au cœur de la ville et véritable poumon du festival. Avec ses arbres, ses parasols, ses stands de boissons et de nourriture et sa toile blanche tendue devant une scène dressée au pied de vestiges gallo-romains, c’est un bien agréable carrefour capable de vous faire oublier l’insolente ascension du mercure. Le distributeur d’eau fraîche et le marchand de glaces artisanales sont d’autres atouts majeurs à remercier.
C’est donc là que débute la traditionnelle soirée blues, avec trois générations au programme. La jeunesse d’abord : un peu avant 19 h, Stephen Hull et Andrew Alli quittent le plateau de Radio Jazz à Vienne (émission disponible ici) pour rejoindre la scène qu’ils vont illuminer pendant une heure. Du trio de Hull émane une énergie positive et contagieuse qui fédère d’emblée. Sam Winternheimer (basse) et Victor Reed (batterie) forment une rythmique bondissante capable de servir shuffles bien chauds et groove juteux. Le patron de 24 ans ne tarde pas à les présenter et à leur laisser un solo chacun, et encore moins à profiter de ce tremplin sur mesure pour enchaîner des reprises brillamment incarnées : son chant et son jeu de guitare illustrent un charisme radieux et une énorme envie de mordre le blues à pleine dent. Un Caldonia bien envoyé marque la fin d’un premier acte rondement mené.
Pas de pause mais l’arrivée d’Andrew Alli. L’entente est évidente. Fluide, spontanée, exaltante. À la base, ce n’est pas son groupe, mais c’est tout comme. Les kilomètres de route et de scène avalés depuis une très judicieuse tournée New Blues Generation en 2022 ont fait leur effet. La greffe est totale et le chanteur-harmoniciste peut dérouler son répertoire, celui de l’excellent “Hard Workin’ Man”, son premier et unique album à ce jour, l’un des grands disques de 2020.
La chanson-titre pour commencer et dévoiler la pertinence de son phrasé, servi par un son charnu amplifié au micro type Green Bullet, et un chant merveilleux, guidé par une sorte de souplesse autoritaire digne de grands maîtres du Chicago blues des fifties, celui qui ne vieillit jamais. Boogie rugueux et pulsations rebondies, voire sautillantes, sont aussi de mise, l’harmonica libère également ses notes directement dans le micro chant, Andrew et sa bande adoptive plient définitivement l’affaire en donnant vie à la puissante lenteur 30 long years. Imparable.
Tout du long, le dialogue avec la guitare de Stephen Hull est un régal. Lui reprend les commandes pour conclure par un Walking by myself bien senti. Une grande rasade de blues immortel et rendez-vous pris à minuit au Club pour un deuxième round.
Entretemps, cap sur le Théâtre antique. Lieu phare de Jazz à Vienne, la vénérable enceinte érigée il y a près de deux mille ans est d’autant plus impressionnante qu’elle affiche complet ce soir. Soit pas loin de 8 000 personnes qui tapissent une montagne de marches, tel un mur humain. Identifiables à leurs t-shirts, les fans croisés dès le début de l’après-midi dans les rues de Vienne avaient donné un indice : c’est l’effet Joe Bonamassa. Cela faisait bien longtemps que le guitar hero ne s’était pas produit en festival en France.
Mais avant la star quadragénaire, le doyen de la soirée, Joe Louis Walker. 73 ans et un pontage récent : le chanteur-guitariste de San Francisco doit s’économiser, surtout par cette chaleur. Épaulé par un quartet efficace à défaut d’être distinctif, le Californien ne bougera pas de son pied de micro. Malgré quelques titres un peu poussifs et une interaction réduite avec l’auditoire, Joe Louis assure, imperturbable, appliqué et entièrement dévoué à son répertoire.
Walking up the dead, Is it a matter of time?, Hello, it’s the blues… Son nouvel album, “Weight Of The World”, est à l’honneur avant des titres plus anciens comme Slow down GTO ou ce boogie graisseux Too drunk to drive drunk qui cite au passage le riff de You really got me des Kinks et déclenche ainsi une réaction d’un public sage et attentif. Si la flamboyance de JLW n’est pas visible ce soir, on la ressent par intermittence dans sa musique. Ici une fulgurance de guitare devenue brûlante, là un chant qui crépite en jaillissant de sa marmite soul gospel. Un son, une griffe, une identité forte capable de transcender un set négocié prudemment.
Quatre morceaux, quatre guitares : les férus de lutherie ne s’ennuient pas à un concert de Joe Bonamassa. L’entame hard rock tonitruante emmène Vienne bien loin du blues, mais le stakhanoviste californien ne l’oubliera pas totalement en chemin. Au fil d’un set musclé parfaitement exécuté avec l’appui d’un groupe réglé comme une montre suisse, notre attention glisse sur un chant neutre et l’on retient quelques percées soulful dues aux choristes, et notamment l’excellente Jade MacRae, au lieutenant Josh Smith à l’autre six-cordes et au vénérable Reese Wynans (ex-Double Trouble de Stevie Ray Vaughan) dont les rugissements de Hammond et la présentation dithyrambique par son patron lui valent une standing ovation, impressionnante dans un tel cadre. Et l’on retient aussi ce I want to shout about it bien enlevé, reprise de Ronnie Earl qui figurera sur le prochain album, et ce Double trouble (Otis Rush), blues lent qui permet à Joe Bonamassa d’articuler à la B.B King. Des gouttes d’émotion dans un océan d’efficacité, impeccable mais incapable de produire ces vibrations chamarrées et nourrissantes entendues avant et après ce soir-là.
À minuit, au “club”, c’est-à-dire le charmant petit théâtre à l’italienne François Ponsard, Stephen Hull et Andrew Alli remettent ça. Une setlist différente de celle du début de soirée, toujours faite de classiques judicieusement appropriés (Tin pan Alley, par exemple) et de compos d’Alli, et toujours cette envie et cet élan si communicatifs. Hull part jouer au milieu d’un public en fête qui aurait bien aimé prolonger cette petite heure de blues juteux à souhait. La jeune garde a pris les choses en main, elle maintient la température à une hauteur parfaitement déraisonnable.
Texte : Nicolas Teurnier
Photos © Brigitte Charvolin