;
Hommages / 24.07.2024

John Mayall (1933-2024)

Bien plus que le passeur fondamental et le découvreur de talent auquel il a parfois été résumé, John Mayall était, au contraire d’autres pionniers comme ses compatriotes Cyril Davies et Alexis Korner, un musicien totalement accompli, responsable d’une œuvre personnelle ancrée dans le blues mais avec sa personnalité et ses influences propres. 

Né le 29 novembre 1933 à Macclesfield, une ville ouvrière à environ 300 kilomètres de Londres, John Mayall grandit dans la banlieue de Manchester. Son père est guitariste et joue dans les pubs locaux, et John ne tarde pas à s’intéresser à la musique grâce à la collection de disques paternelle, et notamment au blues et à des artistes comme Pete Johnson, Albert Ammons, Jimmy Yancey ou Lead Belly, dont il chantera l’influence des années plus tard avec Oh, Lead Belly (sur l’album “Stories”, en 2002) : « Oh, Leadbelly. I heard your guitar ring / So long ago when I was just thirteen / And you stirred my soul every time I heard you sing. » Il s’intéresse aussi aux artistes contemporains, au premier rang desquels J.B. Lenoir, dont il admire l’originalité et à qui il rendra hommage à plusieurs reprises (The death of J.B. Lenoir et I’m gonna fight for you J.B.).

Musicien autodidacte, il apprend seul la guitare, l’harmonica et le piano. Après un séjour militaire en Corée, il commence des études universitaires tout en jouant régulièrement dans les clubs de Manchester avec les Powerhouse Four, un groupe composé d’étudiants. Ses débuts professionnels, dans le domaine de la publicité, ne l’empêchent pas de continuer à jouer, cette fois-ci avec le Blues Syndicate, dont le batteur est Hughie Flint, qui se produit régulièrement au Twisted Wheel, un des principaux clubs de Manchester. C’est Alexis Korner, déjà une figure reconnue de la scène blues britannique émergente, qui le convainc de s’installer à Londres avec son groupe.

Fin 1963, Mayall et ses musiciens, désormais baptisés les Bluesbreakers, font leurs débuts dans les clubs londoniens, et en particulier au Marquee Club, et ne tardent pas à se faire une place dans l’effervescence artistique du moment. Quelques mois plus tard, en mai 1964, l’ensemble fait ses débuts discographiques avec un single pour Decca dont les deux titres sont écrits par Mayall, une originalité alors que nombre de ses collègues continuent à proposer essentiellement des reprises. La face A de ce single, Crawling up a hill, deviendra un des classiques du répertoire de Mayall. La même année, le groupe accompagne en tournée John Lee Hooker. “John Mayall Plays John Mayall”, un premier album enregistré en public fin 1964 au club londonien Klooks Kleek, paraît début 1965 sans grand succès.

C’est l’arrivée en avril 1965 d’un Eric Clapton en rupture de ban des Yardbirds qui vient changer la destinée commerciale du groupe, avec la sortie à l’automne 1965 d’un single enregistré à l’été, I’m your witchdoctor, toujours une composition de Mayall, sublimée par un solo spectaculaire de Clapton. En fin d’année, Mayall et Clapton participent, avec d’autres musiciens britanniques, aux séances de l’album de Champion Jack Dupree “From New Orleans To Chicago”. Enregistré au printemps 1966 et sorti l’été suivant, l’album “Blues Breakers with Eric Clapton”, partagé entre compositions de Mayall et reprises de classiques blues, apporte enfin le succès commercial, mais le départ au même moment de Clapton vient compliquer les choses.

C’est Peter Green – qui avait déjà assuré un intérim quelques mois plus tôt – qui vient le remplacer, à temps pour l’album “A Hard Road”, qui sort en février 1967 et dont la pochette est illustrée d’un dessin de Mayall lui-même. Avec ses musiciens Mayall participe également aux séances d’un album d’Eddie Boyd, crédité à Eddie Boyd And His Blues Band Featuring Peter Green. Là aussi, le séjour de Green est bref avant qu’il parte mener son propre sujet, emmenant avec lui la section rythmique composée de John McVie et Mick Fleetwood. Mayall en profite pour enregistrer en quasi solo “The Blues Alone”, un disque sur lequel il joue de tous les instruments, avec seulement la participation du batteur Keef Hartley sur quelques titres.

Dans la foulée, il monte une nouvelle version des Bluesbreakers avec le jeune guitariste Mick Taylor – recruté par une petite annonce dans le Melody Maker – et une section de cuivres, qui enregistre l’album “Crusade” (avec notamment le classique The death of J.B. Lenoir) qui sort fin 1967. Le groupe, qui connaît de nombreux changements de personnel, publie ensuite deux volumes d’enregistrements en public (“Diary Of A Band”) et un album studio, “Bare Wires”, suivi quelques mois plus tard d’un album crédité seulement à Mayall, “Blues From Laurel Canyon”, sur lequel apparaissent Mick Taylor et Peter Green. À l’été 1969, c’est au tour de Taylor de quitter le groupe pour rejoindre les Rolling Stones.

Nice, 1986 © Brigitte Charvolin
Nice, 1986 © Brigitte Charvolin

Désormais débarrassé de l’étiquette des Bluesbreakers et ayant changé de label, Mayall décide de faire évoluer sa musique, s’éloignant de l’orthodoxie blues en montant un nouvel ensemble sans batteur, qu’il présente avec l’album “The Turning Point”, enregistré en public au  Fillmore East, puis le disque studio “Empty Rooms”. Désormais installé aux Etats-Unis, il poursuit ensuite la formule avec des musiciens américains le temps de deux albums, “USA Union” et “Memories”. Si le double “Back To The Roots”, paru en 1971, le voit retrouver ses anciens collaborateurs Eric Clapton et Mick Taylor, c’est ensuite avec des musiciens américains qu’il enregistre pour le reste de la décennie dans un registre de plus en plus éloigné du blues, incorporant en particulier des éléments jazz dans sa musique. Des séances avec Albert King ont lieu courant 1971, mais elles restent inédites jusqu’au milieu des années 1980 (“The Lost Session”, sous le nom de King). 

Le début des années 1980 le voit retrouver Mick Taylor pour une tournée puis relancer l’étiquette des Bluesbreakers, cette fois-ci avec des musiciens américains comme Walter Trout et Coco Montoya, pour une série d’albums. Le blues boom des années 1990 lui permet de capitaliser sur son statut de “parrain du blues anglais” avec une série d’albums publiés sur Island puis Silvertone. Il apparaît au sommaire de Soul Bag au printemps 1995, dans notre numéro 138. En 2003, il fête ses 70 ans sur la scène de la Liverpool Arena en compagnie d’Eric Clapton, de Mick Taylor et d’un autre passeur majeur, le tromboniste et chef d’orchestre Chris Barber.

Visiteur habituel des scènes françaises tout au long des années 1990 et 2000, il continue à enregistrer régulièrement, sous l’étiquette des Bluesbreakers jusqu’en 2008 puis sous son seul nom. À côté de nombreuses publications d’archives mettant souvent en valeur ses collaborateurs les plus prestigieux, il sort en 2022 son dernier album, “The Sun Is Shining Down”. Il apparaît à nouveau dans les colonnes de Soul Bag en décembre 2003 (numéro 173) et en janvier 2014, faisant la couverture du numéro 213. Courant 2021, des problèmes de santé l’obligent à renoncer aux concerts parisiens, sa dernière tournée française, passée notamment par le Bataclan (Soul Bag y était : soulbag.fr/john-mayall-bataclan-paris/), s’étant tenue en octobre 2019. 

Personnalité charismatique, viscéralement attaché tant à sa musique qu’à son indépendance, resté proche de ses admirateurs – il tenait à installer lui-même son matériel sur scène et à rencontrer les fans après chaque concert –, John Mayall a apporté, tout au long d’une carrière hors norme, une contribution majeure à l’histoire du blues et à son retentissement international. 

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © Cristina Arrigoni

Montreux Jazz Festival 2008 © Montreux Jazz Festival
Bataclan, Paris, 2019 © J-M Rock’n’Blues
hommageJohn Mayall