Cherise, Pop-Up du Label, Paris, 2024
09.12.2024
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30 juin 2022.
Du monde sur le parterre incliné de l’Olympia pour l’une des plus belles affiches soul de l’été. Loin des premières parties anecdotiques ou hors sujet, ce 30 juin tape dans la mille avec la présence de l’excellente Kirby. Ces dernières années, et surtout depuis 2020 et la parution de ses deux premiers EP, la native du Mississippi a brillamment dépassé son rôle de songwriter pour imposer sa généreuse voix soul et son bagout XXL.
Avec son sens de l’humour et son attitude grande gueule fière d’elle, elle nous a déjà fait penser à la grande Millie Jackson. La filiation est encore plus flagrante sur scène. Tenue clinquante à base de cape et de cuissardes, chevelure volumineuse virevoltante, poses et mouvements suggestifs : Kirby fait le show. Et si elle ne fait pas oublier les limites d’une configuration minimaliste (avec un guitariste forfait, il ne reste plus qu’un bassiste et un ordi), c’est à cause d’une sonorisation épouvantable : le volume de son micro est si faible que sa voix est souvent recouverte par les chœurs enregistrés et qu’elle doit même souvent répéter ce qu’elle dit entre les morceaux pour se faire entendre du public qui n’hésite pourtant pas à lui répondre.
Mais Kirby a du métier, de bonnes chansons et un abattage de boxeuse qui lui permette tout de même de faire mouche en enchaînant huit titres en à peine une demi-heure. L’Olympia reprend allègrement ses “we don’t funk with…” (le racisme, les antiavortement, entre autres), applaudit copieusement cet entrain contagieux et chante à pleins poumons FourFiveSeconds, tube planétaire dépouillé que Kirby a coécrit pour Rihanna, Kanye West et Paul McCartney. Mais c’est frustrant de ne pas pouvoir mieux apprécier les franches réussites que sont des compos comme Cool aid et Boyz II men. Vivement qu’elle revienne avec son groupe au complet.
Avait-elle pu balancer correctement ? Était-ce la bonne vieille technique du son bridé pour mieux mettre en valeur la tête d’affiche ? En tout cas, Leon Bridges bénéficie d’un tout autre traitement. Une évidence dès que son large groupe (deux guitares, deux choristes, un clavier-saxophoniste, un bassiste et un batteur) s’élance, rapidement rejoint par le Texan – de Forth Worth comme le rappelle la panthère allongée au pied d’un immense soleil en toile de fond – qui ne quittera pas tout de suite ses lunettes noires et jamais son épaisse veste en cuir.
Sa gestuelle affûtée, qui mêle fluide et saccadé, fait son effet et on réalise vite le chemin parcouru, l’expérience engrangée par le chanteur qui nous avait laissé une impression très mitigée à la Cigale en 2016. Exit le carcan rétro ‘60s un peu surjoué, Leon Bridges a élargi son spectre et s’est façonné un son à lui comme il l’a si bien démontré avec son récent “Gold-Diggers Sound”. Cet album de haut vol est logiquement à l’honneur au fil de la soirée (Born again, Motorbike, Don’t worry, Sweeter…), bien mis en valeur par des musiciens attentifs pilotés par un patron totalement investi au chant, souvent en apesanteur, comme sur ce Magnolias qu’il présente comme une déclaration d’amour au R&B des années 1990 qui a dû bercer son enfance.
Beyond, Mrs., Lions, Bad bad news : les perles de l’album précédent (“Good Thing”, 2018) sont aussi au programme, tout comme la lumineuse association avec Khruangbin qui irradie même sans le trio texan, notamment à travers un Texas sun très attendu.
À presque 33 ans, Leon Bridges navigue sereinement dans un répertoire désormais très consistant auquel son chant soul finement déroulé donne un relief, une maturité saisissante, y compris lorsqu’il revient à plusieurs reprises sur son “Coming Home” (2015) par lequel tout a commencé. Le chaloupé Brown skin girl bénéficie d’un assaisonnement rythmique plus relevé, la douce chanson-titre fait chavirer la salle, tout comme cette très recueillie River interprétée en fin de set en duo avec Brittni Jessie, choriste déjà présente sur la tournée de 2016. Leon avait enfilé son Epiphone, comme il avait fait juste avant avec une Gibson acoustique pour Texas sun. Un beau rappel en trois temps (avec Coming home) qui nous fait oublier les autres chansons qu’on aurait aimé entendre. Ça fait près d’une heure quarante-cinq que la bande à Bridges enchante l’Olympia : on applaudit fort et on reviendra.
Texte : Nicolas Teurnier
Photos © Frédéric Ragot