Carnet de voyage : Tennessee, octobre 2024
20.12.2024
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Enfin ! Huit ans après la parution de son premier album, celui qui peut être considéré comme un des chefs de file d’une certaine nouvelle scène du jazz anglais – aux côtés de groupes comme celui du clavier Greg Foat (avec qui il a enregistré) ou les GoGo Penguins (qu’il a produits et dont les disques sont publiés sur son label) – faisait ses débuts parisiens, par la grâce de la programmation audacieuse du Duc des Lombard. Accompagné par son Gondwana Orchestra dans une composition identique à celle du dernier album (Rachael Gladwin à la harpe, Jordan Smart aux saxophones et à la flûte, Taz Modi au piano, Gavin Barras à la contrebasse et Luke Flowers à la batterie), Halsall, qui assure les parties de trompette et quelques bricolages électros en direct, était cependant privé de sa chanteuse habituelle, Josephine Oniyama, élément majeur de la réussite de ce “Into Forever” (rien moins que le Pied dans Soul Bag numéro 222). Cela explique peut-être qu’il ait choisi de se concentrer sur le répertoire du disque précédent, qui était totalement instrumental, pour la plus grande partie du set.
Si j’aurais aimé, pour ma part, découvrir sur scène les compositions de “Into Forever”, le public du concert n’a pas pour autant été volé, tant la musique jouée ce soir, provenant donc essentiellement de “When The World Was One”, était de haute tenue. Compositeur extrêmement fin, Halsall propose une musique qui se situe dans la continuité du travail du dernier Coltrane ou de Pharoah Sanders tout en s’inscrivant pleinement dans son époque, par le biais notamment d’une utilisation élégante de l’électronique. Loin d’être un enchaînement de solos – Halsall n’est d’ailleurs pas le soliste principal –, il s’agit ici d’une musique très écrite, reposant sur des arrangements subtils et exigeants demandant aussi bien des musiciens – qui ne se quittent pas des yeux – que du public une qualité d’écoute soutenue. Particulièrement peu communicatif – pas un mot avant une bonne heure de concert –, Halsall ne cherche pas à faire le show – lui et son saxophoniste vont même jusqu’à s’accroupir sur scène lorsqu’ils ne jouent pas – et laisse parler la musique. Le résultat est proprement envoûtant, porté par des musiciens de grand talent – impossible d’en citer un en particulier, même s’il faut noter que le jeu de Rachel Gladwin à la harpe évite toutes les chausse-trappes inhérentes à l’instrument –, et a été acclamé par un public totalement conquis au point que le premier rappel – une belle version de Ode to the big sea, emprunté au Cinematic Orchestra – ne suffise pas à le contenter totalement et que le groupe soit contraint – à sa grande surprise apparente – à un second retour.
Une musique totalement originale, à la fois ancrée dans l’histoire du jazz et ouverte sur les possibles contemporains, jouée par des musiciens créatifs en pleine force de l’âge, à la fois exigeante et accessible : si avec ça, Matthew Halsall & The Gondwana Orchestra ne sont pas la “next big thing” du jazz d’aujourd’hui, c’est qu’il n’y a décidemment pas de justice…
Frédéric Adrian