Carnet de voyage : Tennessee, octobre 2024
20.12.2024
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6 et 7 septembre 2024.
L’organisation est impeccable, sans être pesante, avec en particulier des dizaines de bénévoles qui s’emploient, à l’accueil, à la restauration – le fameux MT Burger et la non moins fameuse saucisse blanche sont des passages obligés –, aux bars, à la technique, à la logistique, partout. Quand nous arrivons, en avance, les balances sont en cours, les artistes arrivent tour à tour, c’est déjà un plaisir que d’entendre les premières notes et discuter avec les musiciens.
C’est Francesco Piu qui ouvre le festival avec son fidèle batteur Silvio Centamore et Matteo Frattima aux percussions. Pour ceux qui ont apprécié son album “Live In France” (2021), pas de surprise, son blues énergique rempli de gospel embarque toujours autant, et ceux qui le découvrent se joignent rapidement au spectacle. Sa voix rocailleuse et son jeu de guitare, aussi puissant en électrique qu’en acoustique, sont contagieux et la fin de son set arrive vite.
De la puissance, il va encore y en avoir avec les Backscratchers qui lancent la grande scène. Vinz Polletvillard (vo, kbd, g, hca), Florian Royo (g) et Guillaume Destarac (dm) forment un trio soudé, énergique et efficace. Les interprétations de leurs reprises, Automatic, I wish you would, font penser aux Red Devils, mais en incluant aussi du rock ‘n’ roll et du rhythm and blues, comme Voodoo working. Shake your hips voit Vinz alterner entre harmonica et claviers – il jouera de la guitare par la suite – pendant que Florian prend un solo boogie façon Magic Sam. Vinz annonce ensuite un changement de nom pour le groupe qui devient Charbon avec des évolutions de répertoire et des morceaux en français dont un exemple est donné dans la foulée. Le final fait rugir le public, c’est mérité.
Retour sur la petite scène et superbe découverte de l’harmoniciste chanteuse espagnole Sweet Marta en duo avec le guitariste chanteur Johnny BigStone. Celle dont Thomas Troussier et Victor Puertas parlent avec admiration va effectivement laisser tous les harmonicistes présents, et le public aussi, pantois. Les notes s’enchaînent avec une netteté et une fluidité impressionnantes, parfois avec une vitesse qui ne l’est pas moins, son jeu de mains est captivant. La guitare et le chant de Johnny BigStone sont sobres, de bon goût, ce qui le rend particulièrement crédible dans le répertoire difficile du blues ancien. Leur érudition y est également pour beaucoup, jusqu’à redonner vie à des chansons comme Save me some de Jed Davenport. Ils auront un autre set plus tard, ce ne sera pas de trop.
Les Cinelli Brothers vont nous aider à patienter, et de quelle manière ! Ils prennent possession de la grande scène avec les fameuses harmonies vocales qui rendent la chanson No place for me aussi attendue par leurs fans. Ils plongent ensuite dans le répertoire de leur dernier disque “Almost Exactly” (2024) avec Dozen roses, Ain’t blue but I sigh, entrelacés avec les reprises, I can’t quit you baby d’Otis Rush et The very thing that makes you rich de Ry Cooder, toutes deux chantées par Tom-Julian Jones. Tom-Julian posera sa guitare pour duelliser à l’harmonica avec Marco Cinelli sur Leave it with you. Les changements d’instruments sont donc bien là mais individuels pas collectifs comme les quatre compères en avaient l’habitude. Stephen est ainsi à la guitare et au micro sur Nobody’s fool. Le final est boogie avec Chew my gum, Marco au chant et à la guitare, Alessandro au clapping en bord de scène, Stephen courant en long et en large, ce que ne peut faire le public, massé qu’il est au pied de la scène à acclamer le spectacle.
C’est là que le deuxième set de Sweet Marta et Johnny BigStone aide à redescendre. L’harmonica de Marta et la guitare de Johnny sont les rayons d’un miel blues qui coule dans nos oreilles et les soignent doucement. Le changement de climat est ensuite fort quand Little Odetta monte sur la grande scène. La chanteuse Audrey Lurie concentre l’attention, par sa présence scénique et sa voix puissante, mais ses boys ne sont pas en reste, produisant un rock solide et sonore dans lequel il faut parfois chercher le blues ou la soul. La reprise musclée de It’s a man’s man’s man’s world montre que le groupe a des références et sait les moderniser. Est-ce une impression ou est-ce que le public s’est subitement rajeuni ?
Le lendemain samedi 7 septembre, les festivités commencent avec Bo Weavil en trio, Matthieu “Bo Weavil” Fromont au chant, à la guitare et à l’harmonica, Nouschka aux percussions et au chant, Léo Kazamawa à la batterie. Evasion garantie avec un répertoire fait de blues et pétri d’ingrédients afro-cubains, jamaïcains, sahéliens, chanté par la voix forte de Matthieu et rythmé par Nouschka et Léo. La guitare brille, les percussions enrichissent, la journée commence très bien.
Le temps de bondir vers la grande scène et Nirek Mokar & His Boogie Messengers sont là, avec Stan Noubard Pacha à la guitare, Guillaume Nouaux à la batterie, Bruno Rousselet à la basse, Claude Braud au saxophone et Sax Gordon Beadle en plus. C’est parti pour une fête dansante, remplie de boogie-woogie au piano, de solos de guitare – Stan est en feu sur Shuffle chelou – et de saxophone, plus incandescents les uns que les autres. Du haut de ses 75 ans Claude Braud n’est pas le dernier à animer le plateau, et on se délecte de ses mouvements coordonnés avec Gordon Beadle qui, lui, sera à fond du début à la fin du set. Nirek est étincelant au piano et présente les morceaux avec gentillesse, et un évident respect pour ses musiciens, rendant tout cela très attachant. Très jolie interprétation de Jumpin at the woodside.
La petite scène accueille ensuite les Honeymen avec Benoit Blue Boy en invité spécial. Trois générations de bluesmen français sont ainsi présentes, avec Benoit le pionnier, les frères Jazz emblématiques des années 90 et 2000 avec Doo The Doo, et Guillaume Feuillet, valeur montante actuelle. Les Honeymen commencent à trois avec notamment un terrible Shake’em on down façon Doctor Ross avant que Benoit les rejoigne un harmonica 12 trous à la main pour Le blues au bout d’mon lit, puis un 10 trous pour le légendaire Je marche doucement. Il n’y a plus qu’à se laisser porter avec ce beau blues joué par des grands.
On est alors prêt à la tornade qui va prendre possession de la grande scène, du public, du festival. Alabama Mike est manifestement en grande forme et le Soul Shot All Stars en semble encore plus rempli d’énergie et d’envie. Deux saxophonistes, Sylvain Tejerizo et Alexis Bertein, augmentent le groupe vu une semaine plus tôt aux Rendez-Vous de l’Erdre à Nantes, Fabrice Bessouat (dm), Julien Dubois (b), Damien Cornélis aux claviers, Anthony Stelmaszack et Yann Cuyeu aux guitares. Le répertoire est impeccable avec des reprises de Jimmy McCracklin, Little Johnny Taylor, des morceaux phares des propres disques de Mike, Upset the status quo, Stuff I’ve been through, Goodbye Tamika, la toujours émouvante ballade I can’t stay here long. Mike captive avec sa voix et sa présence scénique, il danse, met ses musiciens en valeur, parle au public, invite Nico Vallone à l’harmonica pour le rappel, et fait chanter tout le monde sur Mississippi et Fight for your love. C’est une fête blues et soul qui rend cette soirée marquante.
Au pied de la scène, on n’a pas forcément remarqué qu’il s’était mis à pleuvoir, ce qui cause malheureusement l’annulation du deuxième set des Honeymen et Benoit Blue Boy. Notre frustration est à la hauteur de celle des musiciens. C’est donc avec Lisa Mann que le festival va s’achever. Elle était inconnue de nous, cette erreur est désormais réparée. Bassiste émérite, elle a joué avec Paul DeLay et Sugaray Rayford, a participé avec succès à l’International Blues Challenge de Memphis en 2011 et a publié quatre albums. Accompagnée par Jason Thomas à la guitare, Pat McDougall aux claviers, Dave Melyan à la batterie, et Nico Vallone en fin de concert, Lisa joue de la basse et chante avec autorité, mêlant ses compositions à des reprises de Howlin’ Wolf, Jimmy Reed, Louis Jordan, Ruth Brown. C’est du blues solide, joué avec respect et sans exagération, le jeu de guitare de Jason Thomas est à ce titre remarquable, c’est parfait pour garder ses oreilles au chaud et terminer un festival dont la réputation n’est pas usurpée.
Merci à Nico Vallone pour la programmation (*), à l’équipe associative et aux bénévoles pour l’organisation et l’accueil.
(*) A l’heure où nous écrivons ces lignes, Nico Vallone a annoncé qu’il se retirait de la programmation du festival. On ne peut que le remercier pour sa formidable production dans les six éditions du festival, et souhaiter aux uns et aux autres de poursuivre leur projet, ou rebondir dans quelque chose de nouveau, qui nous fasse autant plaisir.
Texte et photos : Christophe Mourot