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Live reports / 25.07.2024

Megève Blues Festival 2024

19 au 21 juillet 2024.

Cette année 2024 aura marqué de bien belle façon le 10e anniversaire de la création par Stéphane Huget du Megève Blues Festival. Ce rendez-vous est  devenu au fil du temps incontournable en région Rhône-Alpes, mais également parmi les grands rendez-vous blues de l’été.

Après la tragique disparition de Stéphane en 2021, c’est son père René Huget et sa fille Charline Huget qui ont, aux côtés de son épouse Audrey Huget, repris les rênes d’une équipe de bénévoles passionnés, sérieusement épaulés par le professionnalisme d’équipes techniques éprouvées oeuvrant de concert pour la réussite de ce festival qui monte, qui monte… Une “histoire de famille” qui entre en résonance avec celles des Allman et des Copeland, présentes ici avec Devon et Shemekia. Le Megève Blues Festival aura été cette année un temps fort de l’agenda estival du festivalier avec pas moins de trois exclusivités nationales. Quatre nouveautés ont ponctué cette édition 2024 :

-Un changement de lieu dû à l’espace trop contraint sur la place de l’église de Megève au profit de l’esplanade du Palais, modulable et plus apte à faire grandir l’événement.

-Les ambitions de l’équipe allant grandissantes côté plateau artistique, de gratuit jusqu’en 2023 – avec le maintien de l’espace “club” payant déjà existant, incluant victuailles alpines et toutes boissons à volonté – le festival devient payant pour tous.

-La place de l’église n’est pas désertée pour autant, l’animation du centre-ville est maintenue avec la création de trois tremplins distincts (un par jour) dont chaque vainqueur se voit immédiatement proposer la première partie sur la grande scène, le soir même. Neuf formations au total se voient donc offrir le magnifique écrin de la place de principale de Megève, face à la Mairie, pour le plus grand plaisir de tous, le premier magistrat de la ville en devenant le spectateur privilégié.

-La programmation du dimanche est entièrement consacrée à la célébration du 10e anniversaire du Megève Blues Festival et à la mémoire émouvante de son créateur Stéphane Huget, pour laquelle ses héritiers vont poursuivre l’aventure… avec des artistes emblématiques de l’histoire du festival, présents dès la première édition en 2014.

Vendredi 19 juillet

Le groupe Color Kode est le vainqueur du tremplin du jour, il ouvre donc les festivités de la soirée dans un bel éclat de voix féminine punchy et agréablement dosée. Le quartet comprend à la guitare le vétéran Edouard “Doudou” Gonzales issu des rangs du groupe lyonnais Ganafoul. Le set est énergique de bout en bout et on loue les beaux efforts vocaux et gestuels de la chanteuse Marina Venet pour dynamiser les premiers rangs. Une belle entrée en matière pleine d’électricité !

Marina Venet

Vanessa Collier monte pour la première fois sur une scène française ce soir. Originaire de Dallas, étudiant avec profondeur et passion la musique à Boston, accompagnant le vétéran Joe Louis Walker durant 18 mois, ses débuts discographiques en solo remontent à une petite dizaine d’années et de belles récompenses s’accumulent depuis… Chanteuse à la voix envoûtante et puissante, bonne guitariste, saxophoniste hors pair (l’un de ses héros est Junior Walker), elle prend immédiatement possession de toute l’attention de l’assistance par un jeu de scène des plus conviviaux, souriant en permanence, nous rappelant son bonheur de jouer pour nous et déroulant un répertoire blues et soul de magnifique facture.

Le groupe est à l’unisson, comprenant le fabuleux et versatile guitariste Chris Vitarello, au jeu plein de subtilité et de puissance contenue. L’ensemble force le respect par l’art de la tension-détente propre aux musiciens adeptes d’un blues électrique à la fois traditionnel dans sa structure et libre dans son interprétation. Un fabuleux moment doublé d’une belle découverte ! Vanessa Collier est un nom qu’il faut absolument retrouver parmi les meilleures affiches des festivals qui ont le goût de proposer des artistes contemporains “moins connus”, mais diablement doués et déjà confirmés. Il faut vraiment “oser” surfer sur de telles découvertes, car on trouve trop souvent les mêmes noms un peu partout et l’omniprésence d’artistes éprouvés – et donc trop vus – éclipse l’éclosion des talents d’aujourd’hui. Étonnamment jamais venue en France avant ce soir après déjà douze ans de carrière professionnelle, Vanessa Collier en est l’archétype parfait.

Mr. Sipp ne peut hélas pas rejoindre le festival, étant l’une des nombreuses victimes collatérales du cauchemardesque bug de Microsoft ce week-end. Coincé à l’aéroport d’Amsterdam après avoir perdu ses bagages en République tchèque et s’être fait détériorer une guitare aux Pays-Bas, ce n’est qu’en milieu de nuit qu’il peut rejoindre Megève en van spécialement affrété par le festival, mais ne pouvant reporter son prochain vol depuis Genève, il est contraint de quitter les lieux sans pouvoir chanter le samedi comme cela lui aura été proposé. Une défection qui pourrait se réparer dès l’édition 2025, si tout est réuni pour cela.

Le flamboyant New-Yorkais Arthur Neilson, présent dès ce soir et s’apprêtant à accompagner Shemekia Copeland demain, est dépêché à la guitare pour quelques titres lors d’un second set improvisé, drivé par une Vanessa Collier des grands soirs, ravie lors de ce show de plus de deux heures de poursuivre la fête en retrouvant celui avec qui elle a déjà joué avec bonheur. Une fin de première soirée des plus percutantes, apte à ravir les plus exigeants d’entre nous.

Chris Vitarello, Vanessa Collier

Samedi 20 juillet

C’est la formation The Second Hand Blues Band, la seule comportant un harmoniciste, qui gagne le second tremplin, et peut quitter la place de l’église pour l’esplanade du Palais. Deux chanteurs (le pianiste et le guitariste) animent un répertoire assez conventionnel, un blues et un blues rock résolument scolaires, mais néanmoins efficaces.

The Second Hand Blues Band

C’est ensuite l’excellente Shemekia Copeland qui se présente aux yeux et aux oreilles du public affamé de blues du festival. On ne présente plus la fille de Johnny Copeland, fabuleux artiste disparu en 1997 (sa fille devenant alors tout juste majeure) et qui, à 60 ans seulement, n’aura pu atteindre le terme d’une période de maturité artistique résolument unique. Le blues solide et charmeur qui le caractérisait, mâtiné de son chant rocailleux et bouillonnant, perdure chez sa fille qui, à 45 ans, est désormais au sommet de son art.

Accompagnée de deux guitaristes dont un Arthur Neilson des grands soirs – qui cumule 26 ans de fidélité à ses côtés – Shemekia Copeland s’empare avec évidence d’un public béat. Son douzième album “Blame It On Eve” ne sort chez Alligator que le 30 août, mais elle nous en fait déjà profiter, mixant de nouveaux titres avec l’incontournable Ghetto child incluant sa charismatique partie a cappella, concluant son passage par le très rock ’n’ roll It’s 2 AM, même si à cette heure tardive évoquée, cette magnifique soirée mégevanne sera déjà achevée. Shemekia Copeland captive, émeut, suscite des frissons et emporte tout sur son passage pour nous faire dire qu’en la matière, nous avons tout simplement affaire à la plus grande chanteuse de blues actuelle. Une très grande artiste qui ne se veut pas “star”, toujours accompagnée – comme depuis ses 8 ans – par le producteur-parolier et père adoptif John Hahn, aux petits soins de sa protégée pour tous les aspects de la profession. Un homme cultivé, attachant et doué, qui écrit pour Shemekia et veille sur elle comme s’il s’agissait de sa propre fille. Ses conseils et sa présence fidèle ont largement contribué à faire de Shemekia Copeland ce qu’elle est. Un concert fabuleux qui, hélas, ne s’étire pas en longueur, car le planning a déjà pris un peu de retard ce soir… mais nous surveillerons avec attention ses prochains passages chez nous.

Le groupe le plus étoffé de tout le line-up 2024 du festival est celui de Devon Allman. Les six musiciens nous arrivent tout droit des USA, car tout comme Shemekia Copeland et Vanessa Collier, leurs apparitions constituent des exclusivités en France. De quoi attiser encore davantage l’intérêt pour la programmation de Megève… ce en quoi les vrais fans ne se seront encore pas trompés. Nombreux et encore porteurs de mémoire émue, les admirateurs des Allman Brothers sont ravis : Devon est le fils de Gregg Allman et le neveu de Duane Allman. Les adeptes de l’incontournable Layla de Derek & the Dominos avec Eric Clapton – dans lequel Duane Allman assure la slide – savent désormais que sa pochette est tatouée sur le biceps droit de Devon.

Après The Southern Brotherhood et le projet Allman-Betts Band, c’est The Devon Allman Project qui nous est présenté ce soir, en attendant la sortie le 16 août prochain d’un nouvel opus “Miami Moon”. White horse, son premier single, est ici révélé en live. Le déroulé du concert est à l’avenant, faisant osciller le répertoire entre un southern rock plein de brillance et de punch avec un magnifique lazy blues aux couleurs californiennes. De beaux duos de guitare – typiques du son des Allman Brothers, les géniteurs – avec son comparse Jackson Stokes, une formidable osmose avec le reste du band, dont un incroyable percussionniste-saxophoniste… la musique de Devon Allman a tout pour conquérir une assistance supérieure en nombre à la veille. 1h35 de concert “seulement” serait-on tenté de dire ; leur passage a pu générer la frustration, tant l’enthousiasme général fut à son comble durant ce concert palpitant et sans temps mort.

Dimanche 21 juillet

Le 3e tremplin est remporté par les dynamiques Midnight Burst de Lyon, en l’absence (pour raisons de santé) de leur harmoniciste habituel. Un format forcé en “power trio” donc, pour servir un répertoire musclé et compact. Sur disque, le groupe a convaincu deux invités prestigieux de leur prêter main forte : Popa Chubby et Fred Chapellier ; de quoi faire des envieux parmi leurs groupes-camarades qui se seront également présentés au tremplin. Un set rapidement expédié pour mieux laisser place aux trois concerts à suivre, mais suffisant pour convaincre l’assistance de leur talent en mode blues rock, avec un léger bémol sur le placement du chant du jeune leader Nick Giggs qui pourra gagner en justesse et en profondeur avec l’expérience qui arrive.

Présents sur scène auprès de Johnny Gallagher, la famille Huget présente le travail de Stéphane depuis les origines du festival et remercie Johnny de sa fidèle présence. L’émotion palpable gagne le public à l’occasion de cet instant d’hommage, le plus nombreux des trois soirs. René Huget, son épouse Françoise, sa belle-fille Audrey et sa petite fille Charline sont là, sur scène, et prennent tour à tour la parole pour témoigner de la détermination d’une famille unie à faire perdurer le rêve de Stéphane Huget, né entre autres d’une belle rencontre avec Manu Lanvin en 2013. Ce festival joue décidément la carte du renouveau dans la transmission, tout en respectant les choix artistiques premiers de son fondateur. Avec fidélité à sa mémoire, les éditions qui ont suivi en 2022 et 2023 sont artistiquement fidèles aux choix premiers et marquent chaque année les mémoires par une authentique émotion.

Johnny Gallagher, porteur du t-shirt floqué “Aux p’tits oignons” offert par les amis du festival de Bezannes présents à Megève, nous concocte le bon blues rock salvateur qu’on lui connaît, mixé des influences irlandaises propres à son répertoire. Il est un moment rejoint par la chanteuse Haylen, présente comme lui sur l’album “Tribute To Calvin Russel” insufflé par Manu Lanvin avec une pléiade d’artistes invités. Avec générosité, les décibels distillés électrisent l’assistance devenue franchement compacte. Sourire permanent, abondance de solos échevelés, son fort et rond et groupe au diapason, le passage de Johnny Gallagher met tout le monde d’accord. Il n’en fallait pas plus pour chauffer à blanc, sous la pluie, un public enthousiaste, impatient de (re)découvrir le répertoire de leur chouchou…

Car la tête d’affiche attendue ce dimanche est Manu Lanvin. Beaucoup viennent spécialement pour lui, et n’attendront malheureusement pas (pour eux) la dernière prestation du soir pour découvrir d’autres facettes de leurs musiques fétiches. Le pouvoir d’attraction du toujours jeune quinquagénaire Manu Lanvin est bien palpable. Déterminé à faire monter de plusieurs degrés encore la température d’une soirée décidément bien pluvieuse, c’est tous parapluies ouverts et ponchos imperméables colorés revêtus que les festivaliers font un triomphe à celui qui a décidé d’offrir la dernière galette de sa discographie à Calvin Russell, dont la mémoire sera évoquée le temps d’un court passage acoustique. Pour le reste, un blues rock tonitruant et une énergie rock sans faille jaillissent de la scène vers des fans conquis d’avance, qui en redemandent. Le titre Wild wild west obtient un triomphe. Une section rythmique impeccable – le bassiste Nicolas Bellanger et le batteur Karim Bouazza sont des modèles de connexion télépathique – tandis que les touches des claviers s’affolent et virevoltent, l’éclatant jeu de guitare de Manu Lanvin tutoie les références aux rockers les plus bouillants scéniquement. Un show des plus chauds, généreux et déterminé.

Car le passage du dernier artiste recèlera bien d’autres subtilités. Présenter la musique de l’Allemand Henrik Freischlader comme source de l’influence seule de Stevie Ray Vaughan serait réducteur, même si son jeu de guitare est empli de ce son mi-velouté, mi-impétueux. En formule trio resserré, d’une compacité folle, la musique toute personnelle d’Henrik Freischlader résonne à la fois avec détermination et délicatesse, assurant une réelle pénétration sonore via une cohésion exemplaire de la section rythmique et l’assurance des plus grands, qu’il ne faut pas toujours aller chercher de l’autre côté de l’Atlantique. Des sommets vertigineux sont parfois atteints avec le long développement d’un solo absolument dantesque dans une longue reprise d’Elmore James et restituée dans la version d’Albert King : The sky is crying. Curieusement, la pluie a à présent cessé et toutes les conditions sont à nouveau réunies pour savourer ce dernier concert, en public hélas clairsemé ; il est tard et nous sommes dimanche soir. Seule nuance, la réserve naturelle d’Henrik qui l’empêche d’ “assurer le show”, le fait se cantonner devant la batterie quand il ne chante pas, et nous fait dire qu’un véritable concert réussi peut aussi ne pas être un spectacle visuel. Ce fut cependant l’une des meilleures façons de conclure ce magnifique festival, après un rappel chaudement et longuement réclamé, sous les étoiles de Megève…

Regrettons (en les oubliant vite) les quelques petits retards, souvent dus à des facteurs extérieurs, qui auront fait perdre un peu de rigueur au planning serré. Soulignons l’incroyable qualité technique des plateaux avec des balances parfaites et des jeux de lumière sans agression visuelle. Félicitons l’intelligence de l’organisation qui prend en compte chaque grain de sable pour le muer en prétexte à s’améliorer en permanence. Admirons le calme olympien du boss, René Huget, qui sait pondérer chaque prise de décision avec philosophie, rigueur et bonne humeur, sans précipitation contre-productive. Apprécions l’homogénéité d’une équipe de passionnés qui œuvre de concert pour la réussite de l’événement, chacun à sa place, mais dans le souci commun du bien de tous. Le Megève Blues Festival reviendra forcément en juillet 2025 avec une offre toujours originale… et des surprises ! Il faudra lui réserver le week-end entier.

Texte : Marc Loison
Photos © Scalpfoto

Henrik Freischlader

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