Ezra Collective, Olympia, Paris, 2024
12.11.2024
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2 et 3 mai 2019.
Day 5
Ce devait être la grande tête d’affiche de cette 50e édition du Jazz Fest. Mais Mick Jagger ayant dû se faire opérer en urgence, les Rolling Stones ont annulé l’ensemble d’une tournée américaine qui devait passer ce jeudi par La Nouvelle-Orléans. À défaut de Stones donc, le planning du jour est allégé ; l’occasion de laisser le bon temps rouler et de s’intéresser à des artistes qu’autrement, on aurait peut-être zappés. Pour commencer, testons les bienfaits de la “six string therapy” de Bryan Lee. Mais la tente blues est toujours aussi mal sonorisée et on ressort sans fièvre ni guérison aucune du traitement administré par le chanteur-guitariste. Essayons-nous au style d’Eric Lindell, Californien installé depuis vingt ans dans la Cité du Croissant. C’est dynamique et agréable, mais malheureusement sans grande variété. Penser à vérifier si ses enregistrements studio sont plus convaincants. Enfin faisons un détour par la grande scène qui, en ce début d’après-midi, accueille Samantha Fish. La jeune femme s’apprête à sortir sur Rounder, sa nouvelle maison de disques, un album enregistré aux studios Royal de Memphis. Mais, sur scène, rien n’évoque la suavité et la rondeur chères au génial Willie Mitchell. Au contraire, tout ne nous semble que stridence, tapage et démonstration. Jugement sévère, mais l’artiste a le privilège ou les travers de l’âge (29 ans) et on veut bien parier, cette fois, sur un rendez-vous manqué.
Passons donc sous l’une des deux tentes consacrées au jazz, celle qui porte le nom de la station de radio locale, WWOZ. Heureuse découverte que celle du jeune pianiste Kyle Roussel. Son programme s’intitule “History & Future of New Orleans Piano” et l’avenir nous dira si l’appellation est exagérée ou non. En attendant, ce musicien passé par l’Université de New Orleans nous offre une belle respiration dans la veine du cher Allen Toussaint. À suivre.
Reste celle qui justifiait à elle seule d’acheter un billet pour la journée complète : Mavis Staples est notre octogénaire préférée. Accompagnée par son habituel groupe de tournée et de disques (excellent nouveau “We Get By“), elle maîtrise parfaitement l’art de nous prendre par la main. En ouverture, If you’re ready (Come go with me) sera le seul emprunt au répertoire familial paru sur Stax. Le reste du programme provient de ses disques les plus récents, y compris le dernier en date. D’un côté, on peut regretter la manière un peu offensive et électrique qu’a Mavis d’aborder aujourd’hui la scène (la mauvaise sonorité de la tente blues n’arrangeant pas la situation). En revanche, on ne peut que se réjouir de l’efficacité du propos, fort et direct : en concluant par No time for crying, la chanteuse est remontée et bouleversante en se déclarant « sick and tired » de cet homme qu’elle ne nomme jamais. Et d’annoncer qu’elle songe à se déclarer candidate à la présidence des États-Unis ! Du coup, on en oublierait presque que l’ancien enfant prodige Trombone Shorty s’est fendu d’une apparition chaleureuse et bien sentie sur l’excellent Who told you that. Échange musclé.
Day 6
Dur dur de commencer la journée sous une tente blues au son décidément brouillon et caverneux. Une légende locale comme Ernie Vincent accompagné de ses Top Notes mérite bien mieux. Pour se remettre, rien de tel qu’un bon bol d’air devant la scène Fais Do-do. Désormais bien connue en France, Leyla McCalla est désormais chez elle à La Nouvelle-Orléans, une ville où l’ancienne New-Yorkaise d’origine haïtienne a décidé de s’installer il y a dix ans. « Je n’aurais pas fait tout ça sans vivre à NOLA », raconte la jeune femme qui se souvient qu’il y a juste un an, elle se produisait sur la même scène quelques jours avant d’accoucher. Capitalist blues, Heavy as lead ou encore Même si la terre est ronde : comme il est agréable d’entendre résonner cette saine colère au milieu de ce temple de la sur-consommation qu’est aussi le Jazz Fest ! Plus loin, rendez-vous avec deux grands prêtres du funk made in New Orleans, le guitariste Leo Nocentelli et le big chief Donald Harrison, Jr. Les deux hommes se produisent en même temps mais sur deux scènes éloignées de quelques encablures. Spectacles distrayants et réjouissants à la fois.
La fin de l’après-midi approche et c’est bientôt l’heure du star time. En apéritif, on se sert une bonne dose de gospel contemporain avec une ancienne vedette de la télé américaine, Bobby Jones, from Nashville. On s’offre ensuite une rasade de jazz libre avec l’impressionnant et ébouriffant saxophoniste Kamasi Washington. Dommage que ni l’heure ni le lieu (en plein jour et en plein air) n’offrent les conditions ad hoc pour apprécier ces performances.
17h55 : avec dix inhabituelles minutes de retard sur l’horaire annoncé, Gladys Knight apparaît du fond de la scène Congo Square. On ne sait pas trop à quoi s’attendre de la part de cette recordwoman des hits. Assez naturellement, elle a disparu des radars depuis plusieurs années et pourtant, la première surprise, visuelle, est bonne : ce n’est pas une vieille femme qui s’adresse à nous, mais une élégante à qui on donnerait facilement vingt ans de moins. Sauf que chemin faisant, la fraîcheur initiale laisse place à une nostalgie ou à un opportunisme un peu encombrants. Rappeler que c’est elle et non Marvin Gaye qui a fait connaître en premier I heard it through the grapevine, pourquoi pas ; mais emprunter Stay with me à Sam Smith n’était pas indispensable, surtout lors d’un concert si court (à 19 heures, la cloche sonne pour tout le monde). Bavarde, assez fatiguée mais visiblement très émue, Gladys Knight a sans doute conservé toute sa classe, mais elle a perdu de sa superbe. On se couche avec l’espoir que demain, à la même heure, sa consœur Diana Ross saura nous séduire davantage.
Texte : Julien Crué