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Live reports / 05.09.2024

Nice Jazz Fest 2024

20-23 août 2024.

Le succès de cette édition 2024 reposait sur un triple pari fait par les organisateurs : changer de dates (pour cause de Tour de France et de Jeux olympiques), changer de nom pour devenir le Nice Jazz Fest et recevoir plus de public en doublant la capacité d’accueil du site (tout en promettant plus de confort aux spectateurs présents !). 

Dès le mardi soir, tout le monde fut vite rassuré devant l’affluence et la qualité de l’accueil (zone de restauration avec food trucks, village “Kind Of Blue” avec bar, restaurant, Comedy Club, terrains de pétanque et scène “jam session”). Au final, le NJF a réuni près de 40 000 spectateurs en 4 soirées et l’avenir s’annonce radieux pour ce qui est un des plus vieux festivals de jazz au monde avec une première édition en… 1948 !

Et la musique ? Ce fut 24 groupes ou artistes au total, sur deux scènes, couvrant un spectre assez large afin d’accueillir en plus des fidèles un public jeune qui a d’ailleurs largement répondu présent. Côté Soul Bag, nous avons retenu huit artistes qui ont marqué cette belle édition. Résumé par ordre croissant. 

8) Jordan Rakei ouvrait le deuxième soir sur la grande scène, peut-être encore un peu trop grande pour lui, son nom ne résonnant pas encore suffisamment dans l’esprit des spectateurs présents, et pourtant le jeune Néo-Zélandais a du talent, c’est indéniable et sa pop soul lumineuse devrait vite convaincre plus large. 

Jordan Rakei

7) Nas la veille sur cette même grande scène est venu fêter les 30 ans de son album “Illmatic” et son public ne l’a pas oublié, carton plein pour le rappeur américain qui juste accompagné d’un batteur et d’un DJ a mis le feu en fin de soirée, les touristes à l’extérieur du site étant d’ailleurs complètement médusés d’entendre ça et tout s’est alors arrêté un instant sur la place Masséna !

6) Le jeune jazzman de Chicago Isaiah Collier et ses Chosen Few remplaçaient au pied levé Mulatu Astatke mis au repos par son management par précaution pour sa santé. Il est venu accompagné de la chanteuse Dee Alexander, membre historique de l’AACM, et son set était un clair hommage à la musique de l’Art Ensemble of Chicago dont il s’inspire pour produire un jazz contemporain, pas facile d’accès, mais courageux et ambitieux. Du coup, Kenny Garrett le lendemain parut bien classique…

Micah Collier

5) Stella Cole, jeune et charmante chanteuse new-yorkaise, accompagnée par un excellent trio français, nous embarquait le mercredi dans un tout autre univers, celui du Great American Songbook, musique qu’elle écoute depuis toute petite et qui a fait naître chez elle une admiration immense pour Judy Garland qu’elle ne cache pas. Le public adore et les organisateurs lui décerneront le prix Découverte du Festival, pas de doute que le succès international l’attend !

Stella Cole

4) Le musicien champenois, et fier de l’être, mais surtout ancien élève de la prestigieuse Haute École de Musique de Lausanne, j’ai nommé Léon Phal, mène avec enthousiasme son quartet de jeunes virtuoses (quel batteur !) pour un jazz auquel il ajoute une forte dose de rythmiques inspirées par la house de Chicago, le beatmaker J Dilla ou le hip-hop des ’80s. C’est très dansant et la frange la plus jeune du public ne s’y trompe pas en envahissant le devant de la scène, en rien gêné par les chorus parfois be-bop, parfois free jazz des solistes. Le sourire des musiciens en dit long sur leur complicité et leur plaisir de jouer.

3) Thee Sacred Souls était visiblement le groupe le plus attendu du festival et l’affaire fut vite réglée le mardi avec là encore plusieurs rangs de danseurs et danseuses serrés devant la scène. Le groupe joue ses classiques, terminant avec une version très étirée de Can I call you Rose?, mais présente aussi deux nouveaux titres issus du prochain album, le dansant Live for you et le très lowrider soul Lucid girl. Josh Lane charme visiblement toutes les festivalières et le groupe propose un vrai show adapté aux scènes des festivals, succès oblige, sans perdre de son authenticité.

Josh Lane

2) Grosse surprise le mardi dès l’ouverture avec un set incroyable de qualité et d’enthousiasme du guitariste suisse Louis Matute, lui aussi ancien élève de cette Haute École de Musique de Lausanne qui est en train de faire naître une génération très prometteuse de jeunes jazzmen européens. Le guitariste est passionné par la musique brésilienne et son jazz funk est rythmiquement marqué par ses musiques sud-américaines qu’il avoue adorer alors que ses compos bien qu’instrumentales sont imprégnées de “saudade”, mot portugais évoquant une certaine mélancolie, une nostalgie teintée d’espoir. Mais surtout la musique de Louis Matute en live, ce sont des musiciens impressionnants, et en même temps souriants, heureux d’être là, pour un résultat de très haut niveau qui laisse admiratif. À ne pas rater sur de prochaines dates françaises.

1) Le directeur artistique Sébastien Vidal avait eu la bonne idée de booker Jon Cleary et ses Absolute Monster Gentlemen, en direct de La Nouvelle-Orléans, pour clôturer le festival au Théâtre de Verdure le vendredi. C’est bien le groupe entier qui avait fait le déplacement, y compris deux cuivres, et après deux ou trois titres un peu gâchés par le mix (trop de batterie, piano inaudible), le groove irrésistible de Nola fait son effet : entre reprises de classiques ( Just kissed my baby énorme, Such a night en hommage à Dr. John ou encore le classique Sea cruise) et compos perso tubesques (When you get back, Mo hippa, Dyna-mite…), le Théâtre de Verdure est pris par la frénésie du carnaval et du bon temps roulez, comme si le public avait été soudain transporté dans un club de Frenchmen Street. Un final grandiose, d’autant plus que les couche tard retrouveront ensuite le batteur (A.J. Hall) et le percussionniste (Pedro Segundo) de Jon Cleary pour une jam session très chaude au village avec rien moins que China Moses au chant pour faire danser jusqu’à 3 h du matin les derniers festivaliers, avec en particulier une version XXL du Kiss de Prince ! Oui, le Nice Jazz Fest a de belles années devant lui.

Texte : Éric Heintz
Photos © Philippe Viglietti / Ville de Nice

Jon Cleary