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Hommages / 10.09.2020

Ronald Bell (1951-2020)

Plus qu’un groupe, Kool & the Gang – comme son nom l’indique – est une équipe, voire une famille, y compris au sens biologique : ce sont en effet les frangins Bell – Robert le bassiste et l’aîné, surnommé Kool, Ronald, le saxophoniste, qui adopte le nom Khalis Bayyan pour refléter sa foi – qui sont à l’origine du groupe et qui en ont assuré la continuité au fil d’une carrière riche en rebondissements et en prouesses. 

Le père, boxeur, est un amateur éclairé de jazz, ami de Thelonious Monk, qui vit dans le même immeuble, et de Miles Davis, dont la fascination pour la boxe est bien connue. Originaire de Youngstown, dans l’Ohio, la famille s’installe à Jersey City, dans le New Jersey. La musique occupe une place importante dans la famille Bell, et le père rapporte à la maison des disques de John Coltrane, Cannonball Adderley, Lee Morgan, Art Blakey ou Wayne Shorter. C’est à l’écoute de ces enregistrements majeurs que Ronald Bell apprend, en autodidacte, le saxophone. À peine adolescents, les deux frères montent leur propre ensemble avec des camarades de lycée. Baptisé les Jazziacs, le groupe se fait vite remarquer sur le circuit jazz local, ce qui lui permet d’assurer des premières parties prestigieuses (McCoy Tyner, Pharoah Sanders, Leon Thomas…) tout en affinant sa propre identité musicale, qui inclut de plus en plus, au fil des années, des éléments soul. La composition du groupe reste quasi-constante, malgré quelques changements de nom – The Soul Town Band, The New Dimensions, Kool & the Flames… Pendant quelque temps, à la fin des années 1960, le groupe s’adjoint un chanteur, en la personne de Lee Fields, qui le quitte cependant avant qu’il n’entre en studio. 

Désormais dotés d’un manager expérimenté, le vétéran Gene Redd, et d’un nouveau nom proposé par celui-ci, Kool & the Gang, pour éviter toute confusion avec les fameuses Flames de James Brown, le groupe signe sur un petit label new-yorkais, De-Lite Records, dont la principale publication, jusque là était un album de… Louis Prima ! Le succès est immédiat : les deux premiers singles du groupe, parus en 1969, entrent aussi bien dans le classement R&B que dans le Hot 100, et le premier album éponyme, sorti en janvier suivant, monte tranquillement jusqu’à la 43e place des charts R&B.

C’est cependant sur scène que Kool & the Gang que développe le plus son son, qui s’interdit désormais toute orthodoxie et mêle sans transition jazz et funk, et les deux albums suivants – deux merveilles de groove à l’état pur, “Live at the Sex Machine” et “Live at PJ’s” – sont enregistrés en public, tandis que deux nouveaux albums studio, “Music Is the Message” et “Good Times” paraissent en 1972. Ronald Bell signe sur ce dernier un emblématique I remember John W. Coltrane. Le succès du groupe ne cesse de croître, au point que leur label publie dès 1971 un premier “The Best of Kool and the Gang”, qui se classe dans les hit-parades généralistes et R&B.

Mais c’est l’étape suivante, avec l’album “Wild and Peaceful” paru à la fin de l’été 1973, et les tubes Jungle boogie et Hollywood swinging qui en sont extraits, que le succès devient général : les deux singles atteignent le Top 10 pop et l’album est le premier disque d’or du groupe. Le public R&B suit : Hollywood swinging est le premier numéro un de Kool & the Gang dans ce classement ! “Light of Worlds”, paru l’année suivante, poursuit sur la même tendance (le classique Summer madness, qui apparaît même deux ans plus tard dans le film Rocky), suivi par “Spirit of the Boogie”, qui se classe même dans le classement jazz et “Love & Understanding”, dont trois titres sont enregistrés à l’occasion d’une tournée européenne.

Kool & the Gang (Ronald Bell 2e en partant de la gauche). © DR
Kool & the Gang (Ronald Bell 2e debout en partant de la droite). © DR

Le groupe devient un habitué des plateaux de télévision, de Soul Train à The Midnight Special. En parallèle, Ronald Bell diversifie ses activités en collaborant à l’écriture et à la production avec les Kay-Gees. Le projet ne s’éloigne cependant pas trop du cadre familial, le leader du groupe étant Kevin Bell, alias Amir Bayyan, son plus jeune frère. Bien qu’un titre du groupe apparaisse dans la musique du film Saturday Night Fever, les années disco ne leurs sont initialement pas favorables, le succès commercial s’éloignant tandis que les compromis avec le son du moment, et notamment le recours à des voix extérieures, sur les albums “The Force” et “Everybody’s Dancin’” déçoivent leurs fans historiques – les musiciens lui-même ne semblant qu’à moitié convaincu.

Le groupe décide de réagir de façon drastique, d’abord en faisant appel, pour la première fois depuis son premier album, à un producteur extérieur, ensuite en intégrant un chanteur régulier. C’est un certain  James “J.T.” Taylor qui prend le poste, tandis que le groupe, qui n’a pas pu convaincre Stevie Wonder de s’en charger, convainc le musicien brésilien Eumir Deodato, qui partage avec eux une réelle affinité pour le jazz, de faire évoluer leur son. Paru à la rentrée 1979, “Ladies’ Night” illustre le virage radical impulsé par Deodato qui met l’accent sur le côté pop et dansant du groupe, à coup de gimmicks accrocheurs, voire démagogiques, et de mise en avant du chant. Quel que soit l’avis porté sur le résultat artistique, le succès commercial est au rendez-vous : l’album devient disque de platine, et les deux premiers singles extraits, la chanson titre et Too hot, s’installent tranquillement dans le Top 10 Pop.

Jusqu’en 1988, le groupe enchaîne tubes majeurs et albums de platine, même après que Deodato ait quitté ses fonctions : entre 1980 et 1986, ils classent 14 titres dans le Hot 40 soit plus que Michael Jackson sur la même période, dont Celebration, paru en 1980, qui atteint la première place du classement Pop. Ronald Bell s’offre également un tube en tant que producteur, avec l’assez affreux Reggae night, interprété par Jimmy Cliff. 

L’omnipotence du groupe voit cependant son terme à partir de 1988, quand J.T. Taylor décide de se lancer dans une carrière solo. Dans la foulée, c’est au tour de Ronald Bell d’annoncer son départ : il est absent de “Sweat”, publié en 1989, mais fait son retour dès le disque suivant, “Unite”, paru en 1992. Des retrouvailles avec J.T. Taylor au milieu des années 1990 n’y peuvent rien : Kool & the Gang est désormais une attraction très réputée pour la qualité de son show sur le circuit de la nostalgie. Dans les publicités, au cinéma et évidemment dans le hip-hop, le répertoire du groupe n’a rien perdu de sa popularité, qui lui permet de se produire régulièrement dans le monde entier – y compris en France – dans les festivals et les plus grandes salles. Comme un clin d’œil, il apparaît même dans le film Stars 80, la suite. L’utilisation récurrente de leur tube Fresh dans une publicité pour une boisson destinée aux enfants leur a même permis de conquérir de nouvelles générations de fans. 

Il est certain que le décès, inattendu, de Ronald Bell marque la fin d’une page majeure de l’histoire de Kool & the Gang, mais il est tout aussi sûr que sa musique lui survivra, aussi bien chez les amateurs chevronnés de funk qu’auprès du grand public. 

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © ABC

© DR
Frédéric AdrianKool and the GangRonald Bell