Carnet de voyage : Tennessee, octobre 2024
20.12.2024
;
Bien qu’il s’agisse – a priori – de son premier vrai concert parisien, il n’y a pas foule au New Morning pour entendre celle qui restera comme la voix la plus reconnaissable des productions de Phil Spector, mais les présents compensaient par l’enthousiasme, voire la dévotion, la faiblesse numérique relative du public…
En première partie, le pianiste new-yorkais Dave Keyes, membre de l’orchestre de Spector, assure en solo un court set de blues et de boogie, compétent mais générique, mêlant ses propres compositions et quelques reprises sans surprise (Chuck Berry, Louis Jordan…).
Après un entracte un peu plus long que nécessaire, c’est au tour de l’orchestre au complet – quatre musiciens – de s’installer sur scène, rejoints par les trois choristes féminines (dont une joue ponctuellement de la guitare) pour une version efficace de Hold on I’m coming, avant que la star de la soirée ne fasse son entrée. Dès les premières notes de Baby, I love you, la magie opère : certes, Spector n’a plus la voix de ses vingt ans – elle en a 72 ! –, certes, l’orchestre ne peut reproduire, avec quatre musiciens, la complexité des arrangements originaux de Spector, mais il est impossible de résister à l’énergie et au charme intacts de la chanteuse, dont les oh oh oh iconiques n’ont pas vieilli, d’autant que ses accompagnateurs s’avèrent très compétents, et que l’élégance des arrangements vocaux fait oublier le vilain synthétiseur qui tente en vain de se faire passer pour des violons… Sans se sentir obligée de jouer le second degré, Ronnie revisite ses titres gloires passés, qu’il s’agisse des grands tubes des Ronettes ((The best part of) Breakin' up, Walking in the rain) ou de quelques titres moins courants (I’m so young, paru sous le nom de Veronica, et dans lequel elle met autant de cœur aujourd’hui que lors de son enregistrement en 1964) et propose quelques reprises bien choisies (un What’d I say ludique, le How can you mend a broken heart? des Bee Gees, dédié à sa sœur décédée) et même un extrait de son dernier album (Because). Si elle est visiblement fatiguée, au point de devoir s’asseoir régulièrement – la chaleur étouffante qui règne dans le New Morning l’oblige même à quitter brièvement la scène –, elle semble prendre plaisir à interagir avec le public et à raconter quelques anecdotes de sa longue carrière.
Mais ce qui n’aurait pu être qu’un concert “oldies” plaisant prend une autre dimension quand, après avoir évoqué ses années de galère après son divorce d’avec son fameux mari, elle se lance dans une version frémissante d’émotion de You can’t put your arms around a memory, ballade déchirante empruntée au punk original Johnny Thunders, qu’elle enchaîne sur une reprise très intense de Back to black, le tube d’Amy Winehouse – une artiste qui lui devait beaucoup, tant au plan du look que du style vocal. Après cette séquence proprement stupéfiante, l’introduction de Be my baby sonne comme la musique d’un couronnement et c’est sous les acclamations d’un public totalement sous le charme qu’elle quitte la scène. Elle reviendra le temps d’un court rappel, I’ll follow the sun, emprunté aux Beatles – l’occasion de faire allusion à une brève liaison avec John Lennon – puis retour au répertoire des Ronettes pour un I can hear music triomphant. Tout compris, Ronnie Spector n’est pas restée beaucoup plus d’une heure sur scène, mais vu la qualité de la musique proposée et sa totale implication, il faudrait avoir un triste état d’esprit pour le lui reprocher. À l’heure où les vétérans des années 1960 capables d’assurer un spectacle de qualité se font rare, cette audience avec celle que l’on surnomme encore la Rose de Spanish Harlem est un cadeau exceptionnel. Espérons que, comme elle l’a promis en quittant la scène, elle revienne vite !
Frédéric Adrian