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Hommages / 06.03.2025

Roy Ayers (1940-2025)

Cent vies en une seule : au cours d’une carrière qui s’étend sur plus de 60 ans, Roy Ayers a multiplié les rôles (musicien, chanteur, producteur, auteur-compositeur, découvreur de talent, patron de label…) et les registres (jazz, soul, funk,  disco…), et même sa copieuse discographie ne suffit pas à résumer son impact, tant il a influencé le son des musiques afro-américaines (acid jazz, neo soul, hip-hop…), d’autant qu’il assurait volontiers son rôle de parrain auprès des artistes des générations suivantes. 

Originaire de Los Angeles, Roy Ayers a souvent raconté comment, à l’âge de 5 ans, ses parents l’ont emmené écouter Lionel Hampton et comment le grand homme lui a offert, à l’issue du concert une paire de mailloches, déclenchant chez l’enfant une vocation qui commence à s’accomplir dès l’adolescence, quand il participe à différents groupes de lycée. C’est au tout début des années 1960 que sa carrière professionnelle débute réellement, avec sa participation comme accompagnateur à différents albums jazz aux côtés notamment du saxophoniste Curtis Amy et au sein du quartet du pianiste Jack Wilson, avec qui il publie dès 1963 un premier disque personnel, “West Coast Vibes”, également dans un registre jazz. Sa collaboration sur disque et sur scène avec le flûtiste Herbie Mann à partir de 1966 le fait remarquer d’un plus large public, et c’est sous sa houlette qu’il lance réellement sa carrière personnelle avec une série d’albums dans un registre soul jazz parus sur Atlantic à partir de 1967 (“Virgo Vibes”, “Stoned Soul Picnic” et “Daddy Bug”), puis sur Columbia, tout en continuant à faire partie du groupe de Mann (l’album “Memphis Underground” de celui-ci notamment). 

Au début des années 1970, il s’émancipe progressivement et sa musique fait une part croissante à la soul et au funk. Signé chez Polydor, il publie une série d’albums à succès sous le nom de groupe – à géométrie variable – Roy Ayers Ubiquity et décroche même quelques tubes dans les classements R&B, au premier rang desquels l’irrésistible Runnin’ away, même si, paradoxalement, ce qui est sans doute considéré aujourd’hui comme sa chanson signature, Everybody loves the sunshine, ne sort pas en single à l’époque. Il signe également en 1973 la bande originale du film Coffy, qui met en valeur la voix de Dee Dee Bridgewater et est sans doute un des disques “blaxploitation” les plus réussis. Au cours des années 1970, il produit également l’album du groupe RAMP (un acronyme pour Roy Ayers Music Productions) qui paraît sur Blue Thumb et deviendra plus tard un disque très recherché par les collectionneurs. À la fin de la décennie, il tourne plusieurs semaines au Nigéria aux côtés de Fela, avec qui il grave l’album “Music Of Many Colors”. 

© DR / Collection Gilles Pétard

S’il continue à enregistrer pour Polydor jusqu’au début des années 1980 – il y décroche en 1979 son plus grand succès commercial avec Don’t stop the feeling et grave deux albums partagés avec Wayne Henderson – puis sur Columbia, il lance également son propre label, Uno Melodic Records, sur lequel il publie plusieurs albums personnels ainsi que des disques, produits par ses soins, d’autres artistes comme Bobbi Humphrey, Sylvia Striplin ou le groupe vocal Eighties Ladies. Moins visible sur disque en tant qu’artiste solo à partir de la fin des années 1980, avec des LP sur Ichiban puis Jazz House, sa stature ne diminue pas pour autant, d’autant qu’il prête régulièrement son vibraphone aux disques des autres – Jean Carne, Rick James, Whitney Houston…

Entre samples et reprises, de nouvelles générations de fans et d’artistes redécouvrent sa musique, et Ayers joue volontiers ce rôle de passeur, apparaissant sur quelques projets marquants de l’époque comme le premier volume du Jazzmatazz de Guru, le très influent Stolen Moments (Red Hot + Cool) où il croise la route des Roots et le projet Nuyorican Soul, mais aussi sur des disques de Mary J. Blige, Mos Def, Erykah Badu, Jill Scott et bien d’autres. Deux volumes d’archives inédites sortent au début des années 2000 sous le titre “Virgin Ubiquity”, ains qu’un nouvel album, “Mahogany Vibe” auquel participent notamment Erykah Badu et Betty Wright. Il publie un dernier album personnel en 2020 dans la série Jazz Is Dead.

Longtemps absent des scènes françaises, il y fait son retour au début des années 2000, devenant en particulier un habitué du New Morning, où il se produit quasiment chaque année jusqu’à trois dates finales à l’été 2022. Il prend une retraite définitive l’année suivante, soixante ans après la sortie de son premier disque sous son nom…

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © William Coupon / Collection Gilles Pétard

Avec Lionel Hampton © DR / Collection Gilles Pétard