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Hommages / 13.10.2023

Rudolph Isley (1939-2023)

Né à Cincinnati dans l’Ohio, Rudolph Isley y grandit avec ses frères Vernon, Ronald, O’Kelly, Marvin et Ernst. La musique est très présente dans leur famille, en particulier via leur père, O’Kelly Sr, un ancien chanteur sur le circuit vaudeville, et, avec l’appui maternel, les quatre frères ainés commencent à chanter à l’église.

Emmenés par Vernon, le quartet se produit localement, et sa réputation croissante lui permet même d’apparaître à la télévision, dans l’Amateur Hour présentée par Ted Mack et de remporter la compétition. Le décès tragique de Vernon, tué dans un accident de la route alors qu’il circulait à bicyclette, met un terme à l’aventure. Quelques mois plus tard cependant, alors que Rudolph n’a qu’à peine 18 ans, les trois frères restants décident de remonter un groupe orienté cette fois vers les musiques séculières et de quitter Cincinnati pour tenter leur chance à New York.

Avec Ronald comme chanteur principal, le trio ne tarde pas à se faire remarquer et commence à enregistrer pour différents petits labels – Teenage, Mark X, Cindy et Gone – avec un succès qui reste local. La signature avec une major, RCA, leur permet de décrocher un premier tube en 1959 avec Shout, une composition des trois frères, qui devient un standard instantané, repris par de nombreux autres artistes. S’il leur permet, avec leur jeu de scène spectaculaire, de s’imposer sur le circuit des tournées, ce succès reste sans suite, et même un passage chez Atlantic où ils sont produits par Leiber & Stoller, ne leur parvient pas à retrouver les classements et il leur faut attendre 1962 et leur signature avec Wand pour décrocher un nouveau tube avec Twist & shout, une composition de Phil Medley et Bert Berns produite par celui-ci.

Malgré l’impact majeur créé par la chanson – elle aussi reprise très largement dans des versions qui doivent tout à la leur –, cette réussite est à nouveau éphémère, et le trio continue à enchaîner les singles pour différents labels, dont United Artists et Atlantic, sans grand résultat. Les trois frères montent même en 1964 leur propre label, T-Neck, le temps d’un single, Testify, sur lequel un Jimi Hendrix quasi débutant joue de la guitare. 

Rudolph, Ronald, O’Kelly, 1960s

Il faut attendre 1966 et la signature avec Motown pour que l’ensemble retrouve enfin le succès avec leur premier disque d’or, This old heart of mine (Is weak for you), suivi de plusieurs singles aux résultats plus modestes et de deux albums. Les règles du jeu de l’empire de Berry Gordy ne conviennent cependant pas vraiment au frangins Isley, contraints de se couler dans un moule bien éloigné de leurs aspirations musicales, d’autant que, comme Gladys Knight & the Pips, ils ne sont pas considérés comme une priorité par le label, peut-être parce qu’ils ont une carrière antérieure à leur signature.

À l’issue de leur contrat, ils font le pari de l’indépendance et réactivent T-Neck – dont Ronald est le président et ses deux frères les vice-présidents – pour lequel ils obtiennent un contrat de distribution avec Buddah Records. Dès le premier single, le pari est gagné : It’s your thing est un énorme tube, qui monte même jusqu’à la deuxième place du Hot 100, et ouvre la porte à une série de succès qui se poursuit régulièrement jusqu’au milieu des années 1980. Si Ronald est bien évidemment la voix des Isley Brothers, Rudolph partage avec lui et O’Kelly le chant principal sur quelques titres majeurs comme Fight the power et Livin’ in the life et est même ponctuellement soliste, par exemple sur You still feel the need (sur “Harvest For The World”) ,  Way out love, Slow down children (sur “Between The Sheets”) et sur le tube It’s a disco night (Rock don’t stop). Il publie même en 1970 un single en duo avec la chanteuse Judy White, I’ve got to get myself together, sous le nom Rudy & Judy. Outre son rôle de chanteur, il contribue avec ses frères à l’écriture des classiques du groupe et coproduit leurs enregistrements ainsi que ceux des autres artistes signés par T-Neck. 

O’Kelly, Ronald, Rudolph, 1980s

Le décès soudain d’O’Kelly en 1986 vient bouleverser la vie du trio. Si Rudolph participe encore à l’enregistrement des deux albums suivants, il quitte le groupe à l’issue des séances de “Spend the Night” – Ronald apparaît seul sur la pochette du disque – et se retire alors de l’industrie musicale pour devenir pasteur, se contentant d’apparaître occasionnellement au côté de ses frères Ronald et Ernie, par exemple lors des BET Awards de 2004 – mais pas lors de l’entrée du groupe au Rock and Roll Hall of Fame.

Rudolph publie en 1996 un album gospel, “Shouting For Jesus: A Loud Joyful Noise”, coproduit avec son épouse Elaine Jasper Isley, qui, malgré un générique luxueux – Gene Page, Paul Jackson Jr., Clarence McDonald – passe inaperçu. Atteint de problèmes de santé, il reste généralement discret, mais participe ponctuellement à des projets liés au groupe comme le coffret rétrospectif “It’s Your Thing: The Story of the Isley Brothers”.

Il fait cependant son retour dans l’actualité début 2023 de façon peu glorieuse, quand il attaque ses deux frères survivants pour exiger sa part des revenus du groupe bien qu’il ait cessé depuis plus de trente ans de contribuer à sa carrière… Cette coda assez décevante ne doit cependant pas ternir outre mesure l’importance du rôle qu’il a joué pendant plus de trente ans au service d’un des plus grands groupes de l’histoire des musiques populaires afro-américaines. 

Texte : Frédéric Adrian
Photos © DR / Collection Gilles Pétard

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