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Chroniques / 02.12.2021

Soul Kids

En allant voir Soul Kids au cinéma – et on vous le conseille, sans trop tarder – ne vous attendez pas à découvrir un film d’histoire sur Stax, ni même une histoire de la Stax Music Academy, cette école fondée il y a vingt ans à Memphis, juste à côté des légendaires studios du 926 E. McLemore Avenue à Memphis. Tandis que ces derniers ont été transformés en musée, l’académie accueille de son côté chaque année une centaine d’adolescents venus des alentours pour y vivre une expérience que montre de manière inédite ce film réalisé par le Français Hugo Sobelman. 

Que viennent y chercher ces jeunes Afro-Américains pour qui l’âge d’or de Stax Records, les années 1960, doit ressembler à la préhistoire ? C’est l’une des questions posées par ce long-métrage qui, comme dans tout bon film, reste pleinement ouverte au terme d’une heure et quart passée à hauteur de ces attachants apprentis de la vie. Qu’y trouvent-ils ? Avant tout une “safe zone”, un espace de sécurité coupé des troubles “raciaux” et sociaux ambiants. On chante et on rit, à la Stax Academy ; on y est entre-soi aussi – l’absence de “visages pâles”, en dehors de ceux de l’équipe de tournage, par définition hors-champs, ne peut que frapper le spectateur. 

Ce qui ne signifie pas que les points de vue sur le sens du vivre ensemble la musique soul y soient univoques. Placée au milieu du film, l’intervention “pédagogique” d’une femme venue de Clarksdale, Mississippi, est l’une des césures du documentaire. À ses élèves d’un jour, elle parle du 13e amendement qui abolit l’esclavage en 1865, d’une forme de servitude qui aurait perduré via l’image donnée des musiciens noirs par les Blancs (cf. la question du blackface). Elle parle du rap comme d’une musique qui mène à la prison, cite tout de go Sam Cooke, Robert Johnson et les gens de Stax puis invite ses jeunes auditeurs à devenir des Harriet Tubman modernes, du nom de cette militante décédée en 1913. Que comprennent-ils à ce discours ? Plus loin, quand une jeune fille parle d’arrêter le racisme en coupant court à cette position d’assujettis, on entend des applaudissements sous forme de claquements de doigts (clin d’œil, peut-être, au logo historique de Stax, usage aussi sans doute d’un geste inventé par d’autres mouvements de lutte plus récents).

Musicalement, les “acteurs” du film tâtonnent : les éducateurs font (bien) leur job, les élèves découvrent leurs voix, smartphones à l’oreille pour s’inspirer de musiques enregistrées autrefois sur bandes magnétiques. Film choral plus que musical, Soul Kids séduit par sa délicatesse à capter la complexité des rapports “raciaux” dans le sud des États-Unis aujourd’hui encore. L’avenir leur appartient. Give peace a chance, comme l’a chanté Lennon en 1969, alors que de l’autre côté de l’Atlantique, Stax entamait son virage résolument black. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et ce film sensible apporte sa pierre à notre compréhension de questions aussi anciennes que les États-Unis. 

Texte : Julien Crué
Photo © Gogogo Films/Srab Films/BNP Paribas Pictures 

Soul Kids, un film de Hugo Sobelman sorti en salles mercredi 24 novembre 2021.

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