Bizz’Art, la soul en partage
10.10.2024
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Actif depuis 1970, cofondateur de la Baton Rouge Blues Foundation et des Slim Harpo Music Awards, Johnny Palazzotto est également producteur, promoteur de festivals, de concerts, des programmes locaux “Blues in the Schools”, etc. John S. Zaffuto, qui vit à Hammond, est universitaire spécialisé dans l’enseignement des médias, auteur d’ouvrages et donc producteur.
Les deux Louisianais sont respectivement réalisateur et producteur du film The Original King Bee (2024). Un documentaire très réussi et d’autant plus remarquable que les auteurs durent faire face au manque d’éléments sur Slim Harpo, dont il n’existe par exemple aucune vidéo. Mais en quelque 25 ans de travaux, ils ont rassemblé des témoignages de membres de sa famille, de descendants, de musiciens et proches, et surtout retrouvé une interview totalement inédite de 1968 (réalisée au Steve Paul’s Scene à New York) grâce à laquelle ils ont fait du bluesman le narrateur du documentaire.
Malheureusement, si nous avons eu la chance de voir le film qui a également été diffusé lors d’événements aux États-Unis, il faudra encore attendre pour qu’il soit accessible au grand public. Les auteurs y travaillent, le plus dur étant d’obtenir les différentes autorisations, lesquelles concernent bon nombre de personnes décédées, mais Soul Bag reste à l’affût… En attendant, impressions croisées.
Johnny Palazzotto, racontez-nous la genèse du film…
Je suis né en 1947 et j’ai commencé à écouter la radio en 1957, quand Slim Harpo a débuté sur disque avec I’m a king bee. J’ai déménagé à Los Angeles en 1968, je travaillais dans la musique et quand je suis rentré chez moi en 1982 [à Baton Rouge], j’ai appris que Slim Harpo était mort. J’ai rencontré sa femme Lovell et son beau-fils William Gambler, nous sommes devenus très proches, nous créerons d’ailleurs ensemble les Slim Harpo Music Awards [en 2003]. Nous avons aussi essayé de retrouver des musiciens, des connaissances, d’anciens fans, des animateurs radio, pour nous apercevoir que plus de 250 artistes avaient repris ses chansons, et ce dès le début des années 1960 avec des groupes comme les Rolling Stones, Van Morrison avec Them, les Kinks… Nous avons imaginé faire un documentaire en 2000 ou 2001, on a rassemblé des informations, mais il n’existait absolument aucune vidéo et seulement 27 photos. Dès lors, après bien 15 ou 20 ans, on a fini par admettre que l’on ne découvrirait rien de plus à ajouter au film. Mais on voulait un long métrage, il faut intéresser les gens pendant 90 minutes.
Heureusement, vous avez déniché cette fameuse interview de 1968 par la journaliste Sue Cassidy Clark, comment ça s’est passé ?
Elle était décédée, alors on a cherché, et notamment grâce à un de mes amis qui vivait à Chicago, on a retrouvé la trace de sa collection aux archives de l’université de Columbia [Columbia College à Chicago]. J’ai ainsi contacté l’université qui m’a envoyé une copie, et j’apprendrai ensuite que l’interview était totalement inédite ! Nous avons donc décidé de l’utiliser pour la narration, et c’est donc bien la voix de Slim Harpo que l’on entend pendant la plus grande partie du documentaire…
C’est effectivement l’ossature du film et c’est très émouvant, comment avez-vous travaillé par ailleurs ?
Nous avions donc beaucoup de contacts, ce qui nous a permis de programmer des interviews avec sa femme, son beau-fils, mais aussi des musiciens dont plusieurs King Bees originaux, Rudy Richard, Willie “Tomcat” Parker, Thomas Lee “T.J.” Kinchen, ou bien Raful Neal… Tous venaient chez moi, je possède un studio en centre-ville de Baton Rouge, et je les enregistrais. On a aussi contacté Ray Davies des Kinks, il nous a envoyé une vidéo dans laquelle il explique combien il aime la musique de Slim Harpo. On a essayé d’avoir Keith Richards, son agent a répondu mais ça n’a pas abouti…
« Nous avons imaginé faire un documentaire en 2000 ou 2001, on a rassemblé des informations, mais il n’existait absolument aucune vidéo et seulement 27 photos. »
Johnny Palazzotto
John S. Zaffuto, comment avez-vous rencontré Johnny et quel fut votre rôle ?
Dans la première moitié des années 1990, ça doit bien faire 30 ans, je travaillais à Baton Rouge pour une chaîne de télévision et Johnny pour une radio du même groupe, on s’est connus comme ça, à Baton Rouge. Et depuis le début des années 2000, j’ai collaboré étroitement à bon nombre de ses projets. Dès ce moment-là, il m’a parlé de son projet de faire un film sur Slim Harpo, et on a commencé à rassembler tout ce qui existait. Il organisait des événements, des “Blues Weeks”, des concerts, il faisait des interviews de personnes en lien avec Slim. Je l’aidais et j’intervenais au niveau technique, sur le format des interventions en vue d’un documentaire. J’enseigne à l’université et le secteur a vite évolué ces dernières années, cela m’a permis d’avoir une perspective et de toujours réévaluer l’approche. La technologie change, tout comme la relation des gens avec les médias, ici il fallait mettre un extrait d’interview pas trop long, là un passage du narrateur, ça peut être complexe…
C’est intéressant mais ça demande de l’organisation, beaucoup de temps a passé entre l’idée originale et la finalisation, comment avez-vous procédé ?
J’étais une des rares personnes à travailler dans un bureau, à gérer mon emploi du temps et donc à décider quand je pouvais me mettre là-dessus. Et ce moment est arrivé quand j’ai jugé que nous avions tous les éléments pour mettre cette histoire en place, quand on a plus besoin d’une tierce personne pour nous dire que faire. Nous avions toutes les sources de première main et ce fut encore plus facile quand Johnny récupéra les fichiers audio de l’interview avec Slim…
« Slim Harpo fut très influent mais il n’est pas assez reconnu de nos jours, j’ai beaucoup appris à son propos ces 10 dernières années. »
John S. Zaffuto
Mais tout ne fut quand même pas aussi facile, vous n’aviez pas de vidéos, vous les avez remplacé par la narration, en quelque sorte…
J’en ai toujours plaisanté avec Johnny en lui disant que c’était un fantôme. Nous n’avions que des bribes, sa musique, des souvenirs, c’était à peu près tout. Sinon, nous disposions de quelques dizaines d’images de lui, beaucoup tirées de la même séance de clichés promotionnels réalisés pour Excello. C’était très étrange, oui, ce personnage est resté longtemps un fantôme pour moi. Et ce n’était pas vraiment un documentaire sur Slim, mais selon moi sur la quête de Johnny, qui était sur sa trace, il agissait comme un détective. Quand il m’a appelé au sujet de l’interview de Sue [Kennedy Clark], nous avions déjà l’idée d’un documentaire, mais je devais réfléchir et trouver un récit. Et l’interview a fourni ce récit. C’était sa voix, son récit, ce qui nous manquait. Bien sûr, j’avais déjà vu d’autres documentaires, mais j’ai été alors plus attentif à ceux consacrés à la musique. Car là, cela revenait à parler avec cette grande figure, ce célèbre musicien. Slim Harpo fut très influent mais il n’est pas assez reconnu de nos jours, j’ai beaucoup appris à son propos ces 10 dernières années alors que je ne suis pas réellement un fan de blues à la base.
Propos recueillis par Daniel Léon en mai 2024.