Ronnie Foster, New Morning, Paris, 2024
06.11.2024
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28 octobre 2024.
En matière de concerts, le principe selon lequel les absents ont toujours tort se vérifie régulièrement. C’était une fois plus le cas pour le premier concert donné par les Stylistics en France dans une carrière engagée depuis 1968 : la faiblesse des réservations a conduit à l’annulation de la seconde date, et il a fallu que la production distribue nombre d’invitations pour que la salle soit correctement remplie. C’est donc devant un public pas obligatoirement averti de ce qu’il va voir que se produit donc le groupe. Pour le coup, la programmation en première partie d’un hommage à Elton John assuré par le chanteur et pianiste Tom Cridland – également membre de l’orchestre des Stylistics et producteur de leur prochain album, à venir début 2025 – est une bonne idée. Si je ne suis pas particulièrement épaté par ses prestations, le répertoire familier qu’il propose contribue à mettre les spectateurs dans de bonnes dispositions pour la suite, et il est copieusement applaudi.
Le court entracte ne diminue pas l’enthousiasme de la salle, et les membres de l’orchestre – six musiciens, dont trois claviers, emmenés par le guitariste Rudy Gaye, un habitué de la scène de la nostalgie soul basé à Atlantic City et a priori dépourvu de tout lien avec Marvin – sont copieusement applaudis lors de leur installation. Quelques mesures de TSOP (The Sound of Philadelphia), le générique légendaire de l’émission Soul Train, retentissent, avant que le groupe fasse son entrée au son de l’introduction du classique People make the world go round. Dès les premières notes, l’évidence s’impose : les costumes, les chorégraphies, le chant, les harmonies vocales, tout est à la hauteur de la légende, au point de faire oublier les synthétiseurs qui tentent de reproduire les arrangements originaux. Certes, il n’y a plus que deux membres originaux, Airrion Love et Herb Murrell, tous deux âgés de 75 ans, mais leurs chœurs – renforcés par un quatrième chanteur discrètement installé en fond de scène – n’ont pas pris une ride, et Jason Sharp, membre du groupe depuis 2011, n’a aucun mal à reproduire les parties iconiques de la voix historique du groupe, Russell Thompkins Jr., parti depuis bientôt 25 ans. Il faut dire que le groupe se produit très régulièrement dans le monde entier : quelques semaines avant la date parisienne, il était à l’affiche du Carnegie Hall de New York – dans une petite salle, certes –, et il enchaîne avec une tournée britannique de 25 dates.
Le moins qu’on puisse dire, donc, est que l’ensemble a du métier, et il lui suffit de quelques pas de danse pour mettre dans sa poche un public immédiatement conquis. Il faut dire que le spectacle est évidemment bien rodé, tant dans son aspect visuel qu’au plan musical. Pas de medleys ringards, pas de reprises frelatées : ce sont les classiques du groupe, dans des versions sans délayage inutile, qui sont proposés. Entre 1971 et 1975, le groupe a aligné une bonne douzaine de titres dans le Top 10 du classement R&B de Billboard, et tous sont au programme du concert. Si c’est Sharp qui assure le chant principal de la plupart des morceaux, dans un registre très proche de celui de son prédécesseur, Airrion Love partage ponctuellement le chant principal avec lui, reprenant ses parties sur les enregistrements originaux, par exemple sur You make me feel brand new. Sa voix n’est clairement plus celle d’un jeune homme, mais il a suffisamment de métier et de charisme pour faire passer quelques moments à la justesse un peu hasardeuse. Herb Murrell, qui assure les fonctions de porte-parole du groupe, ne se met en avant que sur Hurry up this way again, seule chanson à faire appel aux voix des trois chanteurs et la plus récente du programme – elle date de 1980 !
Entre les classiques intemporels issus de la plume de Thom Bell et Linda Creed (Betcha by golly, wow, Stop, look, listen (to your heart), You are everything…), l’ensemble glisse quelques titres moins évidents, comme le très beau The miracle, paru en 1974, et dont le chant est partagé entre Love et Sharp. Ce sont évidemment les ballades romantiques qui ont fait la réputation du groupe, et il faut attendre la fin du show au bout d’une heure pour que le tempo s’accélère un peu sur l’assez oubliable Rockin’ roll baby – pourtant un des grands tubes du groupe ! Le public ne se fait pas prier pour se lever et danser. Le groupe en profite pour une fausse sortie, mais les rappels sont suffisants pour qu’il soit de retour avant même la fin du morceau, le temps d’un rappel qui se conclut par l’hymne proto-disco Can’t give you anything (But my love). Le concert a été relativement court – environ une heure dix tout compris – mais sans faiblesse, et le groupe peut prolonger le moment en serrant longuement les mains d’un public totalement conquis.
Au vu de l’accident industriel qu’a probablement constitué cette date pour ses promoteurs, il est peu probable que les Stylistics reviennent de sitôt sur une scène française ou que d’autres groupes dans le même registre s’aventurent jusqu’ici prochainement. Cela n’enlève rien évidemment à la qualité de la soirée, mais est une bien mauvaise nouvelle pour la diversité de l’offre musicale française.
Texte : Frédéric Adrian
Photos © Frédéric Ragot