Cherise, Pop-Up du Label, Paris, 2024
09.12.2024
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14 novembre 2021.
Le Tremplin Blues sur Seine, historiquement implanté au CAC Georges Brassens de Mantes-la-Jolie, possède un palmarès pléthorique parmi lequel on peut évoquer, parmi ceux qui sont toujours actifs sous ces noms, d’innombrables et souvent grands talents. Citons seulement Les Flyin’ Saucers, Xavier Pillac, The Hoodoomen, Charles Pasi, Roland Tchakounté, Cotton Belly’s, Mathieu Pesqué, Nina Attal, The Lazy Buddies, Les Witch Doctors, Olivier Gotti, The Swingin’ Dice, Vicious Steel, Flo Bauer, Louis Mezzasoma, Thomas Doucet ou Jerry T and the Black Alligators. Mentionnons que quelques artistes pourtant largement reconnus ont dû naguère repartir “bredouilles” de ces sélections. Les seuls noms de Thierry Anquetil ou même Fred Chapellier parmi les “recalés” montrent que choisir, c’est forcément renoncer ! Avec le recul, certaines options de l’époque paraissent incroyables, mais cela montre simplement que dans le seul contexte d’une très courte prestation de 20 minutes, tout peut arriver…
Une qualification au tremplin constitue déjà l’occasion pour les lauréats même non primés de repartir couronné d’une visibilité devant un beau parterre composé de membres de la communauté blues, parmi lesquels les programmateurs sont venus puiser une partie de leur inspiration afin de composer les affiches de leurs clubs ou festivals. Devenu entre temps “Trophée” concentré sur un seul gagnant recevant un sérieux coup de pouce de production pour un enregistrement – résidence comprise –, le tremplin reprend cette année sa dénomination initiale. C’est dans un contexte sanitaire qui aurait brimé les élans des plus fougueux que cette édition 2021 a tout de même pris place, dans l’espace culturel Christiane Faure de Limay (78), ville toute voisine de Mantes-la-Jolie.
Devant un jury resserré à sept membres et coordonné – au sein de la nouvelle équipe de Blues sur Seine – par Sébastien Picot, cinq formations venues de toute la France ont chacune eu 30 minutes pour faire éclater leur talent. Saluons essentiellement le travail assumé par chaque artiste ayant précédé cette courte prestation dans laquelle il faut tout donner dès la première seconde. Un exercice ardu auquel chacun a sacrifié, affrontant l’éventuelle timidité et sachant transcender son talent naissant ou confirmé. Servis par une équipe technique au top, les musiciens n’avaient plus qu’à se plier dans la matinée à l’exercice des balances avant d’en “découdre”…
Il est 14 h et l’espace culturel Christiane Faure de Limay résonne encore de la soirée de la veille où les prestations successives de la flamboyante formation Jessie Lee and the Alchemists, suivie de l’impétueuse Laura Cox, ont laissé des souvenirs ébahis parmi les amateurs de blues rock bien troussé, de solos de guitares alpins et de sons rock bien sentis. C’est un contraste total qui attend le public sagement assis de ce début d’après-midi, avec cinq concerts qui iront crescendo en nombre de musiciens et en volume sonore…
C’est à la toute jeune formation Hotel Vast Horizon que revient la lourde tâche d’ouvrir les “hostilités”. Un son organique travaillé par ce duo à la formation récente, composé de Shantal Dayan et Benjamin Coursier. Un ensemble multi-instrumentiste où Benjamin, assis devant des percus aux pieds et sa guitare sur les genoux, distille un blues profond, jouant tout en retenue, le plus souvent en slide, et utilisant des boucles pour illustrer le propos musical par des enregistrements originaux d’Alan Lomax. Ils rendent hommage au musicologue de la Library of Congress tout comme aux géniteurs du blues d’avant-guerre, Robert Johnson (avec un medley Love in vain / Me and the devil blues) n’étant pas leur seule référence.
Si Chris Whitley (un de ses titres a donné son nom au groupe) reste une inspiration assumée du duo, le blues acoustique joué sur des instruments “vintage”, avec la technologie moderne habilement asservie au profit d’un hommage aux sons des créateurs, est leur marque de fabrique. Shantal joue de multiples percussions et chante d’une voix tantôt grave et pénétrante, tantôt se hasardant dans des aigus plus risqués, s’accompagnant d’un banjo de 1911 (année de naissance de Robert Johnson !). Le sourire ne quittant pas ses lèvres permet au public un a priori bienveillant, la sympathie qu’elle dégage n’échappe à personne durant cette petite alchimie qui aura mis peu de temps à se mettre en place.
L’ensemble est convaincant et l’atmosphère intimiste que dégage le duo est plus que plaisante, mais le manque d’expérience scénique ternit quelque peu le propos. Cela viendra au fil du temps et de la maîtrise totale de la délicate loop-station, dont la synchronicité avec la musique jouée en live se doit d’être parfaite. Un groupe à suivre et à revoir sur un concert entier sans pression, dans un lieu peut-être plus propice encore pour mieux partager leur répertoire attachant et lié à l’histoire du blues d’avant-guerre. À ne surtout pas réserver donc aux seuls puristes, tant leur contact avec le public – entre les titres – se révèle à la fois vulgarisateur, sympathique et convivial.
Place à un autre duo mixte, où le chant est partagé, avec les Bretons de Horla. Jack Titley est un incroyable magicien des cordes, multipliant les projets musicaux et les collaborations, maîtrisant son banjo 5 cordes à la perfection. Pauline Villerval intervient tour à tour au violoncelle – qu’elle peut jouer à l’archet ou en pizzicato – et sur un instrument insolite : la gadulka, originaire de Bulgarie, jouée essentiellement dans le répertoire folklorique, et dont elle parvient à tirer des sonorités orientales. Le contexte du set est balisé par leur album “Look Down The Road” en hommage à Skip James, musicien puissamment inspirateur dont l’histoire même passionne le duo. On y apprend sa liaison avec une secrétaire de chez Paramount en 1931 (!), on revient sur son oubli et sa redécouverte tardive par le public européen…
La voix aigüe et habitée, caractéristique de Skip, n’est pas l’apanage de Pauline ; Jack également s’y essaie avec brio. L’atmosphère de la salle, empreinte des vapeurs hypnotiques distillées par les instruments acoustiques et les voix au diapason, est palpable. L’osmose du duo est contagieuse et ne gagne pas que les premiers rangs. Le charme opère par la délicatesse de l’interprétation et l’osmose évidente des deux complices, n’hésitant pas à ponctuer d’humour leur set hors du temps. Devil got my woman, Illinois Blues, Cherry ball blues… Le public est suspendu… L’expérience, la beauté pure et la culture de Horla paient : l’ensemble a su conquérir le coeur de tous les gens présents, chanceux d’assister à pareille prestation.
L’ambiance change de génération avec Kim Dee. Frère et soeur, Kim et Noam se présentent avec un trac visible, touchant par leur jeunesse et leurs gestes délicats une audience curieuse de découvrir leur univers fantasque et hybride. Si la délicatesse et le tact avec lesquels ce très jeune duo francilien appréhende la musique sont évidents, il n’en est pas de même avec leur traitement du blues, absent ici, même si Kim affirme que « le blues est un esprit qui parle du coeur ». Il faut donc utiliser d’autres filtres pour mieux cueillir leur apport : constater par exemple que Noam est excellemment familier avec le beatboxing, ponctuant de sa seule bouche tout le set en imitant chaque élément d’une batterie, et jouant délicieusement du clavier pour napper leur répertoire original de belles harmonies, assourdissant certaines notes, virevoltant sans relâche.
Il faut évidemment souligner le point fort du duo : la magnifique voix de Kim, profonde et chaude, fluide et puissante, au grain à la fois complexe et directement corrélé aux zones du plaisir du cerveau. Elle s’accompagne avec une totale maîtrise au violoncelle, faisant corps avec son instrument de façon stupéfiante. La musique sobre, moderne et novatrice de Kim Dee témoigne d’une richesse et d’une culture fouillées, facilitées par des études au conservatoire et l’éducation familiale d’un père producteur et d’une mère chanteuse. L’inventivité, la sobriété et le jeu dépouillé, qui peuvent déconcerter les amateurs des seules musiques électriques aux inspirations typiquement blues, sont la signature d’un groupe en devenir qui gagnera à étoffer son instrumentation par d’autres apports, éventuellement en ouvrant le duo à d’autres protagonistes. À suivre… car prometteurs !
On ajoute un musicien pour passer au format trio, et surtout on électrifie davantage… Venant du Lubéron, Los Ánimos se présente à nous. Pierre, doyen du groupe, est à la batterie, il chante également. Son jeu foisonnant tranche avec la sobriété de ses comparses, notamment la charleston et les cymbales sur lesquelles il appuie franchement. Migou à la basse complète la formation qui était jusqu’à peu un duo composé de Pierre et de Mika. Son jeu fluide à la 5 cordes est feutré, le son est presque étouffé, mais l’assise qu’il apporte est indéniablement efficace. Mika, jeune Brésilien débarqué en France voilà six ans, assure les parties principales de chant, la guitare et même le clavier, dont il ne joue que depuis quelques mois, mais de déjà belle façon. Côté guitare, son jeu de main droite est habile, mais économe, il joue avec les doigts la main presque fermée, l’accroche est franche, mais discrète.
Il manque un peu de volume, notamment en solo, pour émerger plus franchement de l’ensemble. Le chant est accrocheur et mélodieux, mais sa voix peu profonde ; son approche est très contemporaine, plutôt pop rock. Il nous gratifie de jolies volutes vocales, tout en sensibilité et en justesse. Mika a la fougue de la jeunesse, mais le costume de bluesman – qu’il a d’ailleurs troqué contre un malencontreux jogging – semble trop étroit pour lui. On sent qu’il a soif de liberté et d’horizons moins balisés. On peut d’ailleurs noter un grand nombre d’influences vraiment diverses pour le répertoire du groupe : John Mayer, Marvin Gaye (auquel ils livrent un bel hommage), les sonorités louisianaises (où la batterie s’en donne à coeur joie), Robert Johnson (leur version de Crossroads est transfigurée), Jamiroquai, Eric Clapton, Ben Harper, Calle 13… Cette diversité d’apports ajoute de la richesse à la palette musicale de Los Ánimos, mais nuit à une identité musicale, qui reste hésitante…
On reste au bord du chemin avec une énergie perceptible, mais qui semble rentrée et qui n’explose jamais véritablement. N’oublions pas le travail énorme qui a précédé cette prestation en demi-teinte, et applaudissons la versatilité de l’ensemble, mais il n’est pas près encore pour passer la vitesse supérieure qui leur permettra d’accéder à des horizons plus fastueux. Cela ne les empêche nullement de trouver de multiples dates, qui sauront leur faire forger un son personnel et les rôder davantage encore, car le set a été engageant et Mika a un réel potentiel pour monter très haut.
On termine en apothéose avec la formation auvergnate Little Mouse and the Hungry Cats. Formée en 2018 autour de musiciens chevronnés et d’une chanteuse à l’origine peu adepte des codes du blues, son ascension récente depuis les inscriptions au tremplin voilà 18 mois (celui de 2020 n’ayant pas eu lieu, toutes les formations qualifiées ont été reconduites pour cette année) a fait la différence. Denis Maisonneuve (batterie) et Eric Courier (basse) assurent une rythmique assise, puissante, efficace, dynamique. Richard Addéo (claviers) a de belles idées et distille de magnifiques volutes qui colorent délicatement le son d’ensemble. À la guitare, la technique impeccable de Jean-Christophe Sutter lui permet quelques audaces ; il a un son et un jeu sans équivoque, plaquant des accords clairs et servant des solos flamboyants. Il peut également chanter et, avec sa voix profonde et volontiers rocailleuse, il rivalise sans souci avec les meilleurs vocalistes du genre.
C’est la petite souris Claire Ramos Munoz – elle en a même le costume – qui évolue comme un poisson dans l’eau parmi ces chats pas si affamés ni hostiles que ça… Claire a un enthousiasme communicatif, faisant participer le public qui ne demande que ça, va d’un côté de la scène à l’autre, alternant entre le guitariste et le pianiste pour les exhorter durant leurs solos, les dynamiser, leur demander d’aller au bout d’eux-mêmes. La complicité entre les cinq protagonistes est avérée et palpable tout au long du mini-set. Le band nous gratifie de larges extraits de son album sorti tout récemment, dont Words, House of Blues en hommage à la Maison du Blues de Châtres-sur-Cher ou l’éponyme Voodoo works. Le public ne se trompe pas en applaudissant chaleureusement les prometteurs et souriants Auvergnats que les programmateurs vont commencer à s’arracher…
Une magnifique conclusion pour une après-midi découverte, en toute décontraction, qui aura permis provisoirement d’oublier un peu les contraintes liées à la crise sanitaire, même si les gestes de barrières étaient de rigueur. Le tremplin est bel est bien reparti ! Les gagnants repartent auréolés d’une nouvelle ligne à leur carte de visite, les autres avec la satisfaction du travail bien fait et la perspective de nouveaux horizons qui chantent, sans rancoeur. Qu’ils aient “gagné” ou non, les quatorze musiciens applaudis ce dimanche auront désormais un point commun : avoir redonné le sourire à un public depuis trop longtemps privé de découvertes, et s’être offert un grand moment de convivialité dénué de tout esprit de compétition obtus. Privilégiant la bienvenue et le contact, l’équipe de Blues sur Seine aura laissé également l’empreinte d’un festival qui sait faire les choses, déployant jusque dans toute la logistique une organisation impeccable et un authentique sens de l’accueil. Vivement l’édition 2022 !
Texte : Marc Loison
Photos © JM Rock’n’Blues
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Annabel Fleuret, professeur de musique et directrice d’école de musique : Les 4s’Arts à Mantes-la-Jolie (78).
Christian Lemorvan, rédacteur-en-chef de Blues Magazine.
Marc Loison, chroniqueur de Soul Bag.
Didier Marty, musicien, saxophoniste, chanteur, présentateur du tremplin.
Paul Moulènes, directeur artistique d’une SMAC : La Traverse à Cléon (76).
Sébastien Picot, chargé de production du festival Blues sur Seine à Mantes-la-Jolie (78).
Danielle Zirotti-Loison, animatrice d’émission de blues : Moonshine Blues à Radio 666, Hérouville St Clair (14).
Prix Blues sur Seine : Little Mouse and the Hungry Cats (programmation en 2022 à Blues sur Seine, Festival de Blues de Munster et Jazz à Vienne).
Prix coup de coeur du jury : Horla (accompagnement artistique et réalisation d’un album à 1 000 exemplaires).