Jaz Karis, La Boule Noire, Paris, 2025
05.03.2025
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21 mars 2019.
Si les imprévus de la vie professionnelle et du métro parisien ne nous ont pas permis d’arriver à l’heure de la première partie, l’entrée dans la célèbre salle du boulevard des Capucines reste toujours un moment fort, chargé de souvenirs et d’émotions, de surcroît quand celle-ci est pleine à craquer.
Excellente surprise donc de voir dans ce bel endroit chargé d’histoire un public multigénérationnel en ébullition en attendant le lever de rideau. À l’image d’un Christian Scott, par exemple, Trombone Shorty illustre parfaitement la bonne santé de ces jeunes figures du jazz made in NOLA, nourrit de hip-hop, de soul, de funk et probablement de toutes ces autres composantes qui ont construit l’identité musicale de la Cité du Croissant. Et le jazz-à-papa des club feutrés (voir guindés) nous semble soudainement bien loin.
21 heures passées de quelques minutes : c’est sous un tonnerre d’applaudissements que les huit membres du groupe et leur leader déboulent sur scène aussi agités et excités que le public. Une entrée en matière tambour battant et une rock attitude qui pourrait surprendre celles et ceux qui ne connaissent que moyennement cette signature récente du label Blue Note.
La première demi-heure est électrique. L’association basse-guitares donne le ton : gros jazz funk et gros son ! Ça frappe dur sur les fûts tandis que Troy Andrews, quand il ne chante pas, se greffe à ses deux compères cuivrés (sax baryton et ténor) pour souffler des riffs complexes et puissants. Les glissades et postures rock (tendance néo metal, pied sur l’ampli) des guitaristes ont tout du show un peu surjoué. Le genre de ficelles dont usent généralement les groupes habitués aux larges scènes et aux gros festivals. Mais cela semble convenir parfaitement à un public qui ne dénoterait pas avec les habitués de raout rock estivaux.
Il faudra attendre 45 minutes de show pour qu’un élément typique néo-orléanais fasse son apparition. Second line drumming et pistonnage en règle du baryton pour les basses. Shorty nous prévient, cette fois on file chez lui et c’est l’intro imparable de Here come the girls qui retentit. Un titre qui figure au programme de son dernier album (“Parking Lot Symphony”) et qui fait immédiatement mouche ici, offrant un nécessaire répit à celles et ceux qui commençaient à se lasser du trop-plein d’électricité. La jeune fille qui se dandine à côté de moi connaît-elle l’original par Ernie K-Doe ? Trombone Sorty ne le citera pas, mais l’excellente version qu’il en donne ce soir a tout de l’hommage respectueux à ses aînés. On n’en attendait pas moins du petit-fils de Jessie Hill…
La suite est du même tenant, une prestation à l’image de cette petite heure de chauffe. Compos maison et reprises de circonstances avec Sunny side of the street et un When the Saints repris spontanément par l’intégralité de la salle. Des excellents solos d’instrumentistes, un chouette boulot coté choristes et des sidérantes envolées électriques des guitaristes (basse comprise), branchés ce soir sur du 1 000 volts. Shorty connaît son affaire, joue les chefs-d’orchestre, chante, prend la pose jusqu’à en faire peut-être même un peu trop. Comme l’impressionnant coup du souffle continu (visage à la limite de la déformation) ou cette plongée en milieu de fosse, autorisant de facto le crépitement de flashs. Un bain de foule digne d’un jour de parade ou il y laissera d’ailleurs sa chemise (au sens propre) pour réapparaître sur scène en simple débardeur. Poseur Shorty ? Un poil quand même. En tout cas, si du haut de ses trente-trois printemps il n’a musicalement plus grand chose à prouver, on peut lui reconnaître un atout de taille qui tient en un mot : générosité. Car tout au long de ces deux prolifiques heures (deux rappels inclus), entre petits mots bienveillants (« I realy feel being at home when I play in Paris ») et le don de sa personne au sens physique du terme, choristes et musiciens ont été honorablement mis en lumière par leur patron, ayant tour à tour eu eux aussi l’opportunité d’être sous le feu des projecteurs.
Un juste retour des choses quand on sait que ses aïeux ont probablement fait de même avec lui lorsqu’il n’était encore que bambin. À peine plus grand que l’instrument à coulisse avec lequel il s’est fait un (sur)nom sur les scènes du monde entier.
Texte : Julien D.
Photos © Frédéric Ragot